Le Campus se meurt faute de Responsables et de vision d'ensemble. Misère de la légitimité au CHCL | Par Edelyn Dorismond
Depuis quelques semaines le Campus de Limonade connait un
temps d'arrêt marqué par un bras de fer entre le Conseil de Gestion et quelques
étudiants autour de la question de la baisse du prix de la restauration.
Forts de leur revendication ces étudiants, déroutant les négociations en cours,
ont fait irruption à la cafétéria, se sont servis et ont distribué à la grande
surprise des employés, de la nourriture à bon nombre d'autres étudiants. Il est
clair qu'un tel agissement ne saurait être toléré, puisqu'il est posé contre le
bon fonctionnement du Campus et contrevient à un principe important dans toute
négociation: celui de la crédibilité de l'interlocuteur, lequel exige d'épuiser
toutes les perspectives promises par le dialogue avant de passer à une autre
étape de la revendication. En d'autres termes, du moment que l'on accepte de
discuter, il devient impératif d'arriver au terme de la discussion moyennant
une rupture annoncée et assumée donnant lieu à d'autres agissements. Or dans le
cas des discussions entre le Conseil et les étudiants, aucune suspension des
discussions n'a été avancée lorsque les étudiants ont investi la cafétéria pour
distribuer de la nourriture à qui en voulait. Dès le début j'ai condamné vigoureusement
cet acte et ai compris qu'il est nécessaire de le sanctionner.
Pourtant une certaine rumeur circule faisant état de mon
soutien à ce dérapage. Il paraît que je soutienne financièrement le «mouvement»
des étudiants contre le Conseil. Une telle allégation n'a aucun fondement et
tient de la supercherie des contempteurs paranoïaques qui voient la persécution
ou la poursuite partout alors que le véritable enjeu est la gestion inefficace,
incohérente d'une institution qui a été appelée à fournir une formation
d'excellence en vue de recadrer l'enseignement supérieur en Haïti. Je tiens à
préciser pour l'opinion publique et pour la communauté universitaire uehienne en particulier ma véritable
position sur cette affaire, mais surtout sur le mode gouvernance du Conseil de
gestion et les formes de lutte souvent menées par les étudiants. Je m’arrêterai
à la nécessité de penser le statut du Campus dans le grand corps de l’UEH et â
la pertinence de la gouvernance du rectorat qui minimise la force de
légitimation des professeurs, des étudiants et du personnel administratif au
profit d’imposition autoritaire.
Je commence par les différents mouvements menés par
les étudiants. Le Campus est intégré dans le paysage universitaire public,
celui de l'UEH, en 2012. On parlait en ce temps d'université d'excellence. Il
devait proposer des offres de formation de qualité qui auraient pour objectif
d'une part de rendre l'UEH compétitive et capable de répondre aux problèmes sociaux
et régionaux notamment. L'ironie du sort, au premier temps de son lancement le
Campus n'a pas tenu sa promesse et a laissé un nombre important de parents,
d'étudiants déçus. Beaucoup de ceux-là qui réussissaient le concours ont
abandonné en cours de route. En effet, le Campus a commencé ses formations dans
une confusion exceptionnelle: absence de cursus précis et orientés, manque de
professeurs et une administration titubante. Tout laisse à observer soit de l'amateurisme, soit de
l'incompétence ou de la mauvaise foi des dirigeants. Une chose, toutefois, a
été clairement relevée concerne la manière haïtienne de monter les institutions
par improvisation: absence d'objectifs clairement définis, absence de stratégie
de mise en œuvre, absence de vue d’ensemble sur la place que devait occuper la
nouvelle université, etc. C’est pourquoi on a repris par réflexe les
configurations facultaires des entités de Port-au-Prince. Tout devient donc un
carnaval où chacun joue sa partition selon son humeur et selon son sens
esthétique. Cacophonie, débandade, telle est la manière dont j'ai décrit
l'ambiance du Campus qui se cherche durant ses deux premières années. Des
revendications étudiantes ont été formulées, les réponses inadéquates ou à
l'emporte-pièce ont calmé temporairement la colère des étudiants qui ont repris
par intermittence jusqu'au départ du premier Conseil remplacé sans consultation
par des membres de l'UEH.
Un nouveau Conseil a été installé en 2015 dont la
mission fondamentale était de structurer le Campus et d'y réaliser des
élections. Trois années plus tard, le Conseil a été reconduit sans avoir
exécuté sa mission. Bien entendu, il faut lui reconnaitre quelques tentatives
qui ont donné des résultats à demi-teinte. Le Conseil a pu, avec l'aide des
responsables de Filière, le dynamisme des professeurs et la coordination du
directeur aux affaires académiques, mettre en place un ensemble de cursus
élaborés de manière plus ou moins appropriée. Depuis, il faut dire qu'aucun
travail important n'a été réalisé sur les cursus qui devaient connaître un
moment d'harmonisation afin de réduire la disparité de certains cours
transversaux (par exemple, il était question d'harmoniser le cours de
méthodologie, de français, etc.). Une tentative de définir les Filières en Facultés
et de regrouper les huit Filières en cinq Facultés et un Institut a été mise en
branle sans succès, à cause du fait que le Conseil de gestion n’a pas su
imposer son leadership. Il en résulte que ledit Conseil a subi l'opposition
solitaire d'un des responsables de Filière qui n'a pas accepté de perdre son
statut de responsable pour se trouver sous le contrôle d'un conseil élargi.
Sous la menace de mobiliser les étudiants de sa Filière, le Conseil de Gestion
a fait profil bas et machine arrière. On s'est rabattu sur une organisation
nouvelle avec les premières années appelées EUF, seul vestige d'un projet de
structuration mort-né.
Ils se sont
rabattus sur une organisation nouvelle avec les premières années appelées EUF,
seul vestige d'un projet de structuration mort-né.
En 2016, une nouvelle réorganisation est proposée
au sein de l'administration: le Conseil de gestion est secondé en plus de la
direction aux affaires académiques, d'une nouvelle direction à la recherche et
au partenariat composée du directeur, de deux directeurs adjoints et d'autres
membres, de deux secrétaires adjoints qui accompagnent le secrétaire général,
d'un administrateur adjoint et d'autres membres à la direction aux affaires
académiques. Tout laissait présager qu'une telle structuration pensée pour être
efficace ne pouvait que rendre plus lourdes les décisions administratives et
académiques et a eu en fin de compte la fonction de protéger le manque de
vision du Conseil. Cette structure existe encore, mais l'efficacité n'est pas
au rendez-vous. Elle permet tout simplement à certains membres de s'absenter à
leur gré. J'avais déjà signalé lors d'une prise de décision en 2018 pour
contester la décision du recteur Fritz Deshommes de reconduire le Conseil de
gestion le fait que ses membress'offrent sur l'année cinq (5) mois de congé
résidentiel (par congé résidentiel, j'entends le fait de se rendre obligatoirement
dans son pays de résidence – Canada, Etats-Unis, etc.,- de peur de ne pas
perdre l'opportunité d'un pied-à-terre dans le pays d'accueil face à la
situation délétère haïtienne). Cinq mois sur douze, certains responsables
laissent le fonctionnement du Campus aux adjoints pour répondre à des exigences
d’un autre État : il faut reconnaître qu’il s’agit defonctionnaires
indisponibles qui jouissent des privilèges aucunement prescrits par les
règlements de la fonction publique et ce, avec la complicité des responsables
hiérarchiques.Dans ce même ordre d’idée, il faut remarquer la longue absence du
président du Conseil de gestion. Absence non justifiée ou expliquée à la
communauté universitaire du Campus : ici, les responsables ont beaucoup de
temps de loisir. Vraisemblablement, c’est là le sens de leur fonction jouir de
temps libre et laisser croupir le Campus. C'est dans ce contexte que la
situation actuelle est advenue et que, en conséquence, deux groupes d’étudiants
se sont affrontés avec des cas recensés de blessures d’un professeur et
d’étudiants.
Les étudiants auraient demandé au Conseil de revoir
le prix de la restauration, vu que le dollar a connu quelques dévaluations. Le
Conseil a résisté en expliquant qu'il devrait épuiser son stock. Autrement dit,
le Conseil entend ajuster le prix à l'épuisement de son stock antérieur à la
dévaluation du dollar. Les étudiants impatients ont décidé de faire entendre
leur voix de la manière la plus cavalière en se distribuant à volonté des plats
les uns aux autres. Deux d'entre eux ont été immédiatement identifiés et ont
été enjoints de ne pas fréquenter l'espace du Campus attendant le résultat
d'une enquête en cours. Pris de panique, flairant une probable expulsion de
leurs camarades, un groupe d'étudiants issus de différentes filières ont
organisé des activités de blocage sur la route nationale numéro 6 et ont vidé
les salles de classe des chaises et des tables de cours. La situation a empiré,
le bras de fer entre le Conseil de gestion et les étudiants mécontents se
déroulant sur les réseaux sociaux, sur les stations de radio où certains
responsables se livrent à une logomachie face à des étudiants tout aussi
déterminés à faire valoir leurs positions. De cette logomachie, une seule chose
a retenu mon attention: de part et d'autre, l'image du Campus a été encore une
fois ternie en raison de l'incapacité des responsables -les plus importants
sont absents depuis plusieurs semaines- à traiter avec tact une situation pour
le moins simple, qui a pris par pourrissement des tournures tragiques. Hannah
Arendt souligne quelque chose d'essentiel à l'action politique, du moins à
l'action à plusieurs, le tragique dans lequel elle peut plonger l'agent: la
dynamique de l'action n'est pas régie par l'intentionnalité laissant croire que
l'acteur a le contrôle de ses actes. L'action déploie sa propre logique et y
entraine les agents qui se voient constamment dépassés. D'où son aspect
tragique qui donne à l'agent le sentiment d'être ravi par une puissance plus
grande que sa volonté ou son intention.
Dans cette perspective, les étudiants pris de
panique, dépassés par les événements, ont étendu leurs revendications à la mauvaise
gouvernance du Conseil de gestion. Ce déplacement, je l'ai qualifié de
démagogique et il n'est qu'amalgame. Justement, j'ai critiqué ce mélange de
genre. Plusieurs raisons justifient ma critique. D'une part, les étudiants
donnent l'impression de découvrir pour la première fois l'état de délabrement
de la structure physique du Campus alors que chacun, moi compris, coulait sa
petite vie quotidienne dans ce miasme insupportable. Avancer ce délabrement
comme cause directe de leur« mouvement » est pour moi impropre quand
on sait qu'il était question d'une affaire de restauration. Même la qualité des
nourritures proposées n'a été prise en compte. D'autre part, certains vont de
leur train à mettre en doute les diplômes des professeurs tout en ignorant que,
ce faisant, ils sont en train de se tirer une balle dans le pied en
dévalorisant leur propre formation. Enfin, ils réclament le départ du Conseil.
Rien de tout cela n'a été fixé au départ. Ces revendications pêle-mêle ont
trouvé leur formulation dans un état psychologique où les étudiants
protestataires se voient embrouillés. Je ne saurais me trouver à soutenir une
démarche aussi peu pensée et structurée, en même temps.
Vu sous un autre angle, il n'est pas illégitime
d'exiger une nouvelle gouvernance au Campus du fait de l'indolence, de l'inefficacité
du Conseil de Gestion qui n'est pas disponible, vu que ses membres n'ont pas
suffisamment du temps pour se consacrer aux problèmes du Campus que je résume
de la manière suivante : le statut du Campus au sein du Conseil de
l'Université, la restauration de la structuration physique du Campus, la mise
en place de Coopération pour faciliter l'insertion des étudiants, la continuité
de leur formation. À cela s'ajoute la prise en charge de la formation supérieure
des professeurs afin de renforcer la qualité de l'enseignement, la formation et
plan de carrière pour les employés qui se désespèrent dans la routine. Depuis
deux ans environ, le Campus connaît un nombre considérablede professeurs qui
sont partis pour faire des études ou définitivement. Cette vague de fuite n'a
jamais fait l'objet de réflexion et n’a pas préoccupé le Conseil de gestion. On
sent au contraire une réjouissance de voir partir les professeurs et d'avoir
champ libre : sur ce point, il est important de souligner que l’UEH ne se
démarque pas de l’ambiance sociale générale.
Ma compréhension du manque de leadership à l’UEH
lié en partie au mode d’enrôlement de certains étudiants par des responsables
dans les affaires académiques et administratives de l’institution universitaire,
lesquels étudiants s’étant transmués en instance de légitimation distribuant
bonnes ou mauvaises notes à d’autres responsables et aux professeurs, m’a
toujours convaincu que les étudiants doivent être tenus à l’écart des rapports
de pouvoir qui se déploient entre les responsables. Les intégrer dans ces
rapports de pouvoir c’est les convertir enjouets qui, une fois ayant pris goût
au pouvoir, négligent l’université comme espace de savoir pour la convertir en
espace d’avoirs ou en espèce d’avoir. Je me vois loin d’une telle voie, vu la
vocation noble que je reconnais â l’université : transmettre des savoirs,
apprendre à connaître et se connaître pour le plus grand épanouissement des
humanités. Donc, il est inconcevable pour moi de me servir des étudiants que je
suis appelé à former dans le sens de l’esprit critique, du souci de soi et des
autres face au délabrement généralisé des repères humanistes.
Le Conseil aura bientôt écoulé ses trois ans de
mission. Le temps est au bilan et à la préparation des élections. Selon moi, il
serait ridicule d'exiger le départ du Conseil en offrant au rectorat la
latitude de désigner encore une fois, sur la base de consultation occulte, de
nouveaux membres, sans tenir compte des points de vue des principaux concernés,
à savoir les professeurs, employés et étudiants. J'ai toujours exigé de la
transparence dans le leadership du rectorat, et le respect qu'il doit témoigner
aux acteurs du Campus. Ma position est publique et connue des responsables. Il
est indécent de tramer des rumeurs qui ne correspondent pas à ma manière de
critiquer le Conseil.
J'exige, dans la durée restante du mandat du
Conseil, la mise en branle du processus électoral et la définition une fois
pour toutes du statut du Campus au sein de l'UEH: Une Faculté ? Un
Institut ? Une Ecole ? Un Campus (c'est quoi dans les lois
organiques ?) J'exige aussi qu'il y ait une adéquation entre la gestion
financière du budget du Campus et son intégration dans le Conseil de
l'université où tout se décide. Il est incohérent de gérer le budget du Campus
en Conseil de l'université sans des représentants du Campus pour faire valoir
ses priorités, ses visions. J’exige l’évaluationdes structurations académiques
et administratives mises en œuvre par Conseil de gestion. Telles sont mes
positionsqui n’ont aucune teneur prohibitive qui m’aurait forcé à me cacher
derrière des étudiants pour les formuler.
Edelyn DORISMOND
Professeur de Philosophie
Les paroles d'un homme sage
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