Et tant pis pour la jeunesse désengagée, dépolitisée ! Par William Jean
Le mercredi 12 août 2020, j’ai reçu une invitation de la part
d’un ami-collaborateur pour prendre part à une conférence dont l’association CJH
(Coalition de Jeunesse Haïtienne) entendait réaliser à l’occasion de la journée
mondiale de la jeunesse. L’activité se tenait au local de Iguana Café sur la
route de Canapé vert.
L’espace était garni de la présence d’une assistance juvénile
oh combien intéressée, Vraisemblablement concernée, impliquée ! Le panel
était constitué de plusieurs personnalités (Clarens Renois, Steven I. Benoît,
Jerry Tardieu, Edmonde Supplice Beauzile, Jean Poincy, Daniel Supplice et
d’autres individus venant du champ médiatique haïtien). À tour de rôle, chaque panéliste devait présenter une communication
articulant un pan de la vie sociale haïtienne. En ce qui me concerne, je devais
présenter une communication sur la thématique Partis politiques en Haïti,
dont je tenais à formuler de cette manière : partis politiques et
questions sociales en Haïti. D’entrée de jeu les prises de parole des
panélistes étaient de 15 minutes maximum, pas grand temps pour élaborer ou
développer. Cependant, le sens de la précision, d’analyse et de mesure m’était
incontournable, inévitable.
Ainsi, mon allocution comprenait 4 grandes lignes :
l’histoire du phénomène partisan dans le contexte occidental ; son articulation avec la démocratie
représentative ; son implantation
ou apparition dans le système politique haïtien en relation avec le contexte de
remise en question des catégories subalternes, majoritaires et défavorisées se
révoltant contre le régime des Duvalier ; enfin l’inexistence
d’articulation, de représentation des défis sociaux, des mauvaises situations
socio-économiques des grandes masses par les partis politiques. Durant le
déroulement de mes propos, je tenais à emphaser la digne et exigible
implication des jeunes dans le tissage structurel, organisé de la vie politique
fin de pouvoir éviter les lourds et hargneux héritages dont les hommes et
femmes politiques de la transition de 86 entendent léguer à la jeunesse
haïtienne. Avec toutes les frasques administratives, avec l’instauration et la
consolidation d’un État dilapidateur, auréolé de mafieux et de groupes mafieux
érigés par les politiques de l’Arène 86, vivre sa jeunesse, projeter sa
jeunesse, construire son lendemain s’engouffrent dans des élides utopies.
Sous l’opulence et l’adoption des passerelles de combine par
les hommes/femmes de partis, pour parodier le politiste Jean-Louis Briquet, l’élite
politique de 86 semble se refuser le gave de la nation, le dépouillement des
avoirs publics, l’interminable marasme socio-économique de la société haïtienne.
A la fin de mes propos, lors de mon passage sur panel, je tenais à interpeller
les jeunes sur leur immanquable responsabilité, comme catégorie
socio-démographique majoritaire du pays avec une population se trouvant entre
14-55 ans représentant environ 55 % de la population globale (IHSI 2018). Outre
de cela, le genre féminin du pays représente plus de 52,3 % de la population, dans
cette perspective, sans l’implication de ces catégories socio-démographiques
majoritaires, pour un possible renversement de l’arène politique garantissant
la domination des politiques de corruption et de combine entravant l’avenir de
la jeunesse, je tenais à préciser dans ma communication, dans ces conditions de
râpasse et de gabegie des acteurs issus de ces partis politiques traditionnels,
la jeunesse serait l’avenir du pays. Lors des sessions de questions,
j’ai eu une jeune fille, étudiante en sciences économiques qui eût à me
dire « monsieur, je ne suis pas d’accord avec vous, pourquoi vous
dites, la jeunesse serait l’avenir et non pas est l’avenir ». Bon nombre
d’autres jeunes la suivirent dans son effare, comme si je venais de prononcer
une infamie. J’avais réellement voulu éclaircir le propos pour la demoiselle et
l’assistance, mais hélas contrainte de temps ! qu’il s’agisse d’anxiété,
d’incompréhension ou de peur, cette demoiselle a eu l’audace et le courage de
faire la question-remarque. Et les lignes qui vont suivre s’étaleront comme
position et explication à mon assertion.
Michel Vakaloulis écrit et je cite « dans le spectre d’incertitude et de tâtonnement que les élites
dirigeantes européennes et mondiales entrainent la jeunesse quasi mondialement,
il est inévitable seule la jeunesse peut et doit mettre la vie dans l’avenir et
non les jours assurerons leur avenir.[1]»
Dans ce même bouquin, le politiste présente le constat d’échec des politiques
français, grecques, espagnoles s’agissant de la façon dont les politiques
publiques d’emploi et de formation à l’emploi convolent en rien l’attente de la
jeunesse. D’autant plus, il essaie aussi de camper les diverses formes et moyens
de mobilisation des jeunes, leur mode d’engagement politique, leur mode de
regroupement associatif pour forcer à chaque fois les dirigeants à adresser les
questions brulantes leur concernant.
De ce même modèle réflexif, cette tournure probabiliste avec
laquelle j’ai évoqué notre jeunesse haïtienne comme l’avenir du pays a été
comme une interpellation. D’un côté, il y a de quoi à se demander n’est-ce pas
la jeunesse, la catégorie socio-démographique, par l’acquisition de compétence,
de responsabilité, de savoir-faire et être devant prendre la relève des plus
vieux pour administrer et diriger le pays ? De l’autre, Si durant la
gestion et gouvernance des moins jeunes, les jeunes par leur désintéressement
et non-implication au mode de gestion et administration des moins jeunes, leur
laissant un boulevard pour tout bousiller, liquider et gâcher, sur quoi les jeunes
peuvent-ils oser reposer leur avenir et se penser comme avenir du pays ?
Sans vraisemblance ni démagogie, l’interrogation de la demoiselle s’inscrit
dans une logique temporaire linéaire, en ce sens que le temps imposera de toute
façon l’avènement et l’inscription d’autres acteurs dans l’ancrage du pouvoir
et/ou dans l’étreinte des responsabilités futuristes dont l’âge, c’est-à-dire
les années pèsent beaucoup dans la balance.
Prendre la vie sur sa forme de déroulement des ans et
d’observation de certains évènements du fait qu’on s’y trouve, n’apporterait
aucun ajout au nombre de jours vécus. Du coup, l’avenir, s’il est vrai qu’il
passe obligatoirement par le comptage des temporalités, de fuseau horaire et
changement périodique, ne ramène pas toutefois à un contenu prédéfini faisant
de l’avenir une expérience humaine vivable, supportable et jonché d’espérance
par le seul fait qu’il y eut de la contingence et vous avez pu traverser le
temps (les époques). Traverser les époques, au sens temporaire du terme ne
définit en rien les complicités de l’avenir. Et sauf vos étonnements, se
considérer, se projeter comme un gouvernant en devenir sur le seul facteur
temps serait comme l’auto-duperie dans une multitude d’interaction et de
relation avec d’autres dans l’espace socio-politico-économique dans lequel se
joue et se déjoue l’avenir. Mon articulation probabiliste sur la jeunesse
haïtienne par rapport à leur propre avenir, du coup l’avenir du pays, rejoint
la réflexion et/ou raisonnement du penseur autrichien André Gorz[2],
articulant l’avenir comme un phénomène total, global imprégné de complexité,
exigeant la réflexion et l’engagement sur les différentes facettes et/ou
domaines de la vie. Dans ses raisonnements sur des phénomènes comme le travail,
l’État, l’écologie, le capitalisme, il prône la saisie du mode fonctionnel de
ces faits et d’autres pour oser projeter le lendemain, donc l’avenir. Douter de
la possibilité que la jeunesse d’aujourd’hui soit les futurs décideurs de
l’avenir n’enjoint aucunement le vecteur âge.
Il s’agit plutôt d’une compréhension du procès de
construction et de constitution de la jeunesse haïtienne comme une catégorie
socio-démographique se saisissant comme potentiel responsable, garant de
l’avenir en s’octroyant les armures d’engagement, de formation, d’implication
dans la définition et l’orientation du futur. Revendiquer que la jeunesse est
l’avenir d’une société, d’un pays s’embobine dans une dialectique penser le
présent-construire l’avenir.
Ici, construire implique obligatoirement l’ouverture d’un
chantier dans lequel, la jeunesse comme l’architecte qui dessine et décide du
plan à exécuter dans le cadre de l’œuvre, du bâtiment à édifier. Étant la
catégorie socio-démographique majoritaire, l’édifice accueillera de toute façon
la majorité démographique. Qu’il soit bien pensé, exécuté et réalisé ou le
contraire.
Du coup, il parait prépondérant à ce que la majorité se
démêle et s’attèle à s’impliquer par sa participation majoritaire, en faisant
preuve de dextérité, de capacité et de sérénité pour la mise en œuvre de
l’édifice. Ainsi, la perspective de Gorz imbrique l’engagement et rejette la
passivité, la sèche frustration comme modèle de penser l’avenir. En ce qui a
trait à la gouvernance entravée, handicapée des élites dirigeantes depuis
l’instauration des partis comme éléments articulateurs de la démocratie, nous
observons un recul, un repli de la population apte à voter pour les partis,
surtout les jeunes depuis la première expérience électorale de 1990 (Laennec
Hurbon, IDEA, 2014). Toutefois, ce retrait de la population pour/ou dans le
phénomène partisan, grosso modo dans l’organisation et l’orchestration
politique du pays, n’a en rien empêché que la majorité rétractant composée en
majeure partie de profil socio-démographique regroupant jeunes et femmes
subissent les décisions politiques des gouvernants pétris dans l’échec.
Observons de près les espaces et/ou les opportunités que les
hommes et femmes politiques issus de l’arène politique 86 ont créé pouvant
promouvoir la préparation de la jeunesse pour prendre la relève de la gouverne
du pays, le constat est sombre. Aucun effort sérieux de novation et
d’innovation a été consenti par cette classe dirigeante post-Duvalier. Les
institutions fondamentales de la république : l’école, l’hôpital, la
justice, l’université et autres n’ont pas connu de meilleurs modes de
fonctionnement en termes d’amélioration de service et d’organisation du service
presté par l’État.
Au fil des années, les rapports de Transparency International
démasque les manèges corrupteurs des dirigeants, aussi bien les vastes
opérations de corruption, de collusion, de clientélisme propulsé au sein de
l’administration publique haïtienne. Aucune institution régalienne
habituellement n’est mobilisée pour appréhender, et conduire les fraudeurs
malfrats et corrupteurs par devant les tribunaux compétents en la matière. Au
contraire, se trouvant en opération dans l’administration haïtienne et dénoncer
les pratiques de corruption, assimile la trahison, du coup mérite le châtiment
ultime. La jeunesse, s’il elle entend mener les traîneaux du pays dans un
avenir qu’elle prétend présager, se doit de se désolidariser de toute forme de
colportage avec les dinosaures verrouillant la corruption comme modèle
indépassable.
Se défaire du stratagème du sens de
placement
Une jeunesse espérant assurer la relève d’un pays fagoté par
une dynamique de gouvernance de l’échec, érigée en modèle, orchestré par une génération
de dirigeants politiques opportunistes, sans vergogne et d’apatrides conscients
et inconscients, se doit refusé de composer avec l’élite politique de l’échec
dans la combine. Très souvent, dans la combine avec les braqueurs de l’État,
les jeunes truffés de compétence et de sens d’innovation oublient qu’ils jouent
leur avenir en compromettant sur l’avenir de la société. Le pire, parfois avec
beaucoup d’argutie, ils (les jeunes) revendiquent très négativement la théorie
de la stratégie d’acteurs, en ce sens de tirer des avantages exigus,
individuels dans une mélasse qui ne garantirait que la saveur du dépit,
peut-être même du regret d’être servi par les caciques du système.
Dans cette perspective, Younes Belfellah et Karim Gassemi[3],
présente une analyse du mécanisme de placement de jeunes acteurs dans le milieu
touristique marocain, compromettant le professionnalisme et l’avenir des
catégories de guide touristique, en s’associant à la politique d’embauchage des
ainés corrompus opérant de plus d’une trentaine d’année dans le système
touristique. Ces théories, à savoir, l’acteur rationnel, et du sens de
placement, de Raymond Boudon et de Pierre Bourdieu présentent effectivement les
mécanismes de réussite individuelle d’acteurs, opérant dans un système et
cherche à se faufiler des rouages constitutifs du système pour s’offrir sa
part. Cependant, ces deux théories comportent quand même leur limite en les
projetant dans la dynamique groupale, collaboratrice et d’équipe. Car étant
élément s’établissant, trouvant son équilibre dans le système, il est fort
difficile de projeter le regard critique rétrospectif sur sa responsabilité
dans la confortation et l’assise du système.
Donc, la jeunesse haïtienne, pour réellement s’ériger comme
avenir du pays, et du coup, se projeter comme constructeur de l’avenir
collectif, doit se refuser l’élan de facilité la ramenant, la conduisant dans
le pessimisme abject sur le devenir collectif et du modèle alternatif à inventer,
à créer. Le modèle alternatif se
démarquant de la culture de l’échec coloré, se nourrissant de
l’irresponsabilité criante des dirigeants corrompus de l’ère démocratique
post-86, doit péremptoirement passer par le regroupement générationnel
objectif, articulant le sens de la mesure, du résultat et de la construction de
dossier pour œuvrer l’État, l’engager et le disposer au service de tous. La
Jeunesse haïtienne ne doit pas s’engouffrer dans une logique binaire
d’intimidation ou de collabo, comme s’il ne se donne aucun autre issu pour
surpasser le statu quo. En tant que catégorie socio-démographique majoritaire,
potentielle porteuse de projet d’avenir, nous ne devons pas renoncer à notre
participation, notre intégration dans la vie politique active, car l’échiquier
constitue le seul rempart permettant de participer, d’influencer et/ou d’imposer
l’orientation de l’avenir par les mesures et programmes politiques engagés dans
le présent.
La jeunesse haïtienne doit vaincre sa peur, sa répugnance
provoquée par les acteurs d’échec. La jeunesse doit se transcender pour
s’implanter dans l’arène décisionnelle étatique galvaudée par un club de
dirigeants échoué et corrompus. Faisons de l’engagement citoyen le vrai
engagement ! Faisons de la vie politique, la vraie vie ! Construisons
ensemble dans l’éthique de responsabilité citoyenne, patriotique pour l’avenir
et par l’avenir !
JEAN WILLIAM,
Prof à l’UEH
[1] -
VAKALOULIS, Michel, Précarisés, pas démotivés ! Les jeunes, le travail,
l’engagement, Paris, Edition de l’atelier, 2013
[2] - Gorz, André,
Penser l’Avenir. Entretien avec François Noudelmann, préfacé par Christophe
Fourel, Collection Petits cahiers libres, Paris, 2019.
[3] - Belfellah Younes et Gassemi Karim, « stratégies d’acteurs et démarche prospective : Essai de formalisation des mécanismes de marché de pouvoir au sein du secteur touristique marocain » Cairn.info dans Recherches en sciences de Gestion, 2016/5 (No 116), pp 25-49.
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