Transition démocratique de 1987 en Haïti : l’épouvantable supercherie des politiques mitigeant leur dévolu au duvaliérisme | Par Jean William
La transition politique de 1987 en Haïti, dès son début, s’est vu
confronter à un ensemble de défis dans le contexte d’application des politiques
économiques de rigueur imposées par les organismes financiers internationaux
tels que : la FMI, la BID et la Banque Mondiale. Ces mesures et/ou
politiques, rentrant dans le cadre du plan néolibéral imposés aux pays
sous-développés par les Etats et institutions occidentales dominants, connues
sous l’appellation de plan d’ajustement structurel. Ce programme visait l’orientation
et l’adoption des mesures néolibérales désengageant les administrations des
pays tiers de la Caraïbe et d’Afrique dans les secteurs fondamentaux :
éducation, santé, agriculture. Des recommandations de modernisation de
l’administration publique et la bonne gouvernance ont été adressé à l’endroit
des dirigeants d’Etat de ces régions pauvres de l’époque. Ce projet global
d’appui et de restructuration de l’économie et des infrastructures des pays
anciennement colonisé, spécifiquement des pays africains indépendants durant
les années 1960, a été perçu et conçu comme un package pour appuyer les
nouveaux Etats africains, et d’autres Etats défaillant à retrouver la voie du
développement. La fin de la bipolarité hégémonique qu’a connu le monde après la
chute du mur de Berlin allait de façon expéditive entraîner une vague de
mouvement de réorganisation et de restructuration du système-monde avec les USA
comme chef de fil et de tant d’autres pays européens fortement industrialisé et
ayant la prédominance dans les grandes décisions politiques internationales.
Dans cette perspective, Samuel HUNTINGTON évoque les mécanismes par
lesquels cette réorganisation et recomposition du monde s’est lancé sous
l’égide des puissances économiques et militaires mondiales. Il écrit :
« dans le procès de faire la promotion et d’entamer les projets de
modernisation et de développement des sociétés dites traditionnelles,
anciennement colonisées ou sous protectorat d’anciennes puissances
occidentales, les décennies ayant suivi le mouvement de décolonisation en
Afrique et en Asie du sud-est dans les années 60 et jusqu’à la fin de la
décennie 80, les institutions financières mondiales outils de promotion des projets
de rehaussement des pays en mal d’accumulation de richesse, devaient impulser les
Etats défaillants à faire des réformes en profondeur visant la bonne
gouvernance, le renforcement institutionnel, le fonctionnement maximal de
l’administration publique et enfin, faire des choix économiques
débouchant sur le chemin du développement [1]».
Cette trilogie, à savoir la réforme politique, le renforcement administratif et
la bonne gouvernance définissent et délimitent les nouvelles options, les
nouvelles arènes sur lesquelles les pays appauvris doivent s’aligner pour
parvenir au bout de leur pauvreté, du coup lancer leur développement. Ces
impératives, bien qu’elles soient venues de la part des organismes financiers
internationaux, constituaient déjà bien clairement les fondamentaux des
revendications de la population haïtienne dans sa majorité lors des
soulèvements populaires anti-Duvalier. Tenons-en à la première impérative,
s’agissant de la réforme de l’Etat pour comprendre et fixer les responsabilités
de nos politiques depuis la transition au regard de leur supercherie et de leur
infinitude harangue.
La notion ou l’expression de réforme
de l’Etat suivant le cadre conceptuel de Eric, GRISTI[2],
s’impose dans les années 1990 pour désigner les actions menées afin d’améliorer
le fonctionnement de l’administration. Depuis les années 2000, l’expression
« modernisation de l’Etat » est employée concurremment à
« réforme de l’Etat ». Elle entend poursuivre l’accroissement de
l’efficacité de l’administration publique tout en réduisant ses coûts de
fonctionnement, ce qui constitue une préoccupation majeure des pouvoirs
publics. Tout ce processus repose sur l’engagement des autorités publiques à se
responsabiliser par rapport aux points suivants : l’amélioration de
l’efficacité de l’action administrative et la qualité de la gestion
publique ; améliorer les relations entre l’administration et les
administrés ; et enfin simplifier et réorganiser l’administration de
l’Etat. Dans le contexte haïtien, vraisemblablement, le coup d’Etat de la junte
militaire contre le président Aristide n’a pas permis ou facilité les chantiers
de la réforme de l’Etat. Cependant, dès son retour au pouvoir en 1994, le pays
a connu une certaine stabilité politique jusqu’en 2004, année dans laquelle,
une fois de plus, Aristide était forcé de quitter le pouvoir et partir pour
l’exile sud-africain.
De 1994 à 2004, rien de performatif et ambitieux n’a été réalisé au sein
de l’administration publique haïtienne. Au cours de la période évoquée
ci-dessus, ni l’administration d’Aristide ni celle de Préval n’a pas su
endosser l’inévitable besoin de modernisation de l’Etat, s’agissant d’instituer
et consolider les institutions étatiques prévues par la nouvelle constitution
de 1987. ULCC, UCREF ont pris naissance après une succession de gestion
politique du pays par Aristide et Préval, soit environ une décennie, par le
gouvernement de transition dirigé par Gérard Latortue. Ces institutions de
contrôle et de vérification et autres de même nature, ont pris naissance dans
le cadre de l’assainissement de la finance publique et du contrôle des
opérations financières engageant l’Etat et aussi le secteur privé des affaires
pour venir à bout de la grande corruption qui gangrenait l’administration publique
haïtienne. A la fin du mandat du régime de Boniface-Latortue, l’avènement de
René Préval à la tête du pays pour une seconde fois, n’allait pas réellement engager
la lutte anti-corruption relevant de la mission et de la vocation
institutionnelle de l’ULCC et d’UCREF pour démasquer, de stopper et de freiner
l’hémorragie que provoquait ce dit phénomène.
Déjà les rapports de 2007 et 2008 de la Banque Mondiale signalaient
Haïti parmi les pays les plus corrompus du monde. Les dépenses folles ne
cessent pas d’être engagé et réalisé par l’administration publique pour le
compte des officiels. Voitures de luxes, frais de fonctionnement, détournement
de projet et de fonds publics, octroie de faveurs à des amis ou sympathisants
politiques, s’imposent comme pratique récurrente et/ou même principe directeur
au sein de l’administration publique haïtienne. Pourtant, le marasme de
l’archaïsme et du niveau extrême de délabrement des infrastructures routières,
éducatives et sanitaires publics persistent et s’aggravent davantage. Le projet
d’instaurer l’Etat démocratique se trouve contraint jusqu’à présent à la
volonté des acteurs politiques d’établir et de respecter les normes et
principes consubstantiels à la bonne gouvernance et de gestion transparente au
plus haut niveau dans la finance publique. L’environnement étatique haïtien est
enclavé jusqu’à présent dans un cercle vicieux de duperie et de tromperie des
dirigeants et hauts fonctionnaires d’Etat vis-vis de la population par le
mécanisme de rallonge de promesse et de projets frimant et fictif dans la
grande majorité des cas.
Le phénomène de la corruption jusqu’à présent constitue l’un des
obstacles majeurs à la bonne marche des institutions étatiques. Corréler par
l’impunité et l’irresponsabilité des acteurs du système judiciaire, elle (la
corruption) semble profiler, instaurer un imaginaire incontournable de pratique
et d’interaction libertine emballant fonctionnaires et officiels dans les
différents domaines de l’administration publique haïtienne. Dans beaucoup de
situation exigeant des enquêtes approfondies pour établir la vérité sur des
sujets d’intérêts publics, on trouve les concernés (présumé coupable et
justiciable) se livrant à des tours médiatiques sans en être poursuivis ou
interpellés par la justice. En ce sens, les affaires de surfacturation et du
détournement de projets du fonds du petro-caribe est un exemple frappant du
piteux état de l’appareil judiciaire haïtien, et aussi est représentatif du
niveau de moralité des autorités publiques. Dans cette affaire, la justice
s’efface promptement aux échappatoires médiatiques des présumés corrompus et
corrupteurs. Le régime actuel dirigé par le président Jovenel Moïse, qui se dit
lutter contre l’orchestration et manèges liés au phénomène de la corruption,
regroupe en son sein une quantité de fonctionnaires et d’officiels indexés par
le rapport de la commission anti-corruption du sénat, et qui n’ont même pas été
écarté de leur fonction pour être entendu par la justice. Les corrupteurs et
corrompus profitent tous du leste concerté consciemment ou inconsciemment des
acteurs du système judiciaire.
D’inquiétude ou malaise, pour les malfrats et corrompus, il n’en saurait
exister. Tout le réseautage regroupant amis ou hommes de cartels participent de
l’orchestration, de l’arrangement des affaires au sein du système judiciaire. Des
cas de procès kidnapping du dénommé Sonson la familia, la vague de détournement
de projets et de fonds public par le gouvernement de Laurent Lamothe en
témoignent beaucoup de l’état agonisant de notre justice. Refoulé par la
majorité des gens pauvres de la population, bafoué par les politiques, le
système judiciaire haïtien connait depuis l’entame de la
« transition » une décrépitude acerbe. De jour en jour, les médias
télévisés et radiodiffusés par leur tribune semblent inconsciemment ou pas,
vouloir supplanter les différents tribunaux du système judiciaire haïtien. La
légèreté des cadres, fonctionnaires, parlementaires, ministres et chefs d’Etat
dans le traitement des affaires de la république, témoignent à chaque fois de
leur inconséquence, de leur incapacité et immoralité pour faire fonctionner
l’administration publique.
Innover, réformer, renouveler la capacité et la potentialité de l’Etat
passent forcément par l’optimisation des moyens et la rationalisation des
normes de l’administration publique. Toutefois, l’on constate une négligence
inouïe, une irresponsabilité éprouvée de la part des politiques et
administratifs, synchronisant l’Etat depuis l’entame de la transition
« démocratique » jusqu’à nos jours. Leur désinvolture pour l’instauration
d’une nouvelle administration publique transparente et moderne est manifeste.
Les fonctionnaires restent quasiment en marges de l’usage des nouvelles
technologies, les services perpétuent dans le débordement, la formation des
cadres est à peine assurée. Le marasme fonctionnel de l’Etat haïtien, à coup
sûr, participe du boiteux fonctionnement des institutions étatiques. La
hiérarchie de pouvoir et de responsabilité dans l’administration publique
haïtienne n’est aucunement liée à l’exigence du respect des principes, de la
productivité et de l’innovation. Au contraire, l’incompétence, l’ignorance et
l’ardeur corruptrice sont des cuirassent qu’il faut se revêtir pour pouvoir en
trouver sa place. Le fonctionnement minimal de l’Etat haïtien, André CORTEN[3] l’explique
et le décrit comme un processus d’affaiblissement perpétuel des dirigeants
haïtiens, des institutions étatiques, ce qui leur permet et facilite la
subalternisation, le contrôle de la puissance publique tout en éliminant les
principes de gouvernance démocratiques et républicaines. Ainsi, renforcer la
puissance publique participerait du processus de renforcement de nos
institutions, du contrôle des agents et de la bonne gestion des avoirs d’Etat.
C’est avec beaucoup de stupéfaction, l’on ne fait que constater la gouvernance
« démocratique prônée » par les farouches partisans de la transition
politique de 1987 conduit le pays vers un abysse effréné. Structurer, organiser
et délivrer non seulement s’éloignent du plan d’action des décideurs mais aussi
s’effacent de plus en plus dans le registre décisionnel des dirigeants et décideurs
de l’Etat. Et cela concoure malheureusement à la stagnation économique et
sociale du pays.
Depuis le passage à la démocratie, avec beaucoup d’effarement chaque
administration, chaque pouvoir aux commandes du pays se vante toujours de faire
mieux que son précédant. Pourtant dans les faits, aucune réalisation et/ou
chantier public atteste des frasques grandiloquentes des uns et des autres. Outre
de cette considération, l’on peut constater une sorte de refus, une sorte de
dénégation accrue de la part des dirigeants, des gouvernants, lorsqu’il s’agit
d’entreprendre les actions symbolisant le progrès, quand il est question
d’initier les chantiers modernisateurs de l’Etat haïtien. Aujourd’hui encore,
la création et la construction de grandes infrastructures publiques
(institutions étatiques et d’édifices publiques), dans la majorité des cas,
remontent soit avant le règne des Duvalier ou durant leur gestion dictatoriale
du pays. La gestion de l’Etat sous l’hospice des gouvernements démocratiques
frôle le chaos et s’apparente de plus en plus à la déraison. La tendance est
très pathétique lorsqu’on observe de plus près le comportement des dirigeants
vis-à-vis du reste de la société. Le mensonge, l’immoralité, la cupidité, les
prouesses fanfaronnes et bravaches en sont l’étoffe des officiels de la
république. Le sens du sérieux et d’engagement sont relégué au point de dernier
souci des différents acteurs des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire).
Plus que jamais, l’Etat haïtien se trouve entravé, plombé dans des
scandales à longueur de journée. Les politiques et administratifs ne cessent
d’agacer la population avec des affaires les unes plus ignobles que les
autres : corruption, détournement de fond public, trafic d’influence,
collusion, impunité, abus de pouvoir etc. Un fait reste constant, inébranlable
dans l’actualité quotidienne des politiques, l’accusation réciproque et du
dénigrement à tout prix entre pairs, dans l’optique de trouver bonne grâce
auprès de la population qu’ils ne cessent de dépouiller et de dédaigner. Les
officiels sont extrêmement frappés par la paranoïa de la perte des privilèges.
Une fois en fonction, l’élue peine à se détacher, à se défaire de la posture de
candidat ou de pressenti. Même en investissant la fonction ou le poste ces
derniers (élus et fonctionnaires) sont en mal de se représenter leur
responsabilité. De telles attitudes et comportements semblent participer du
mécanisme incessant d’usage de mensonge et de tromperie des politiques
vis-à-vis des dirigés.
Et
c’est en ce sens que Gérard BARTHÉLÉMY[4]
évoque le côté trompeur et même manipulateur des acteurs de la transition
politique post-dictature, en constatant que les velléités de changement
exprimées par les masses en soulèvement contre le régime duvaliériste en 1986
n’allaient pas être prises en considération dans les agendas politiques des
dirigeants de l’ère démocratique. Les catégories sociales massivement pauvres
des bidonvilles et de la paysannerie n’allaient pas être accompagnées par les
différents gouvernants « démocrates » en vue de trouver une certaine
satisfaction par rapport à leurs diverses revendications qu’elles (les masses
ouvrières et paysannes) avaient formulées. Au contraire, la précarité
quotidienne de ces couches sociales négligées, n’est pas prise en compte dans
la conception et l’exécution des programmes/projets publics. La liberté
d’expression, l’un des acquis importants reconnu et garanti par la constitution
de 1987, se trouve réinterpréter dans l’arène politique comme le libertinage de
tout dire, et s’apparente à l’expression du verbiage, du radotage et bavardage
des politiques en s’accaparant l’Etat.
L’Etat « démocratique » à l’épreuve
de la sérénité et de la véracité du dire.
Plus que jamais, la société haïtienne se perd dans la fourberie, dans
l’impunité et aussi bien s’enfonce dans le dilemme de l’exceptionnalité du
vrai. Au plus haut sommet de l’Etat, les politiques, par leur persistance dans
l’irraisonnable, la duperie et le malfrat taraudent sans répit l’abysse de la
parole mystificatrice et trompeuse. L’ère de la parole libre, conquête des
groupes sociaux majoritairement méprisés, défavorisés de l’ancien régime, est
complètement retournée contre cette majorité. Les médias, en grande proportion
participent de cette dynamique de restriction de parole aux masses défavorisées
du pays et s’imbriquent dans la marchandisation de tribune aux groupes et
catégories sociales disposant de grands réseaux d’influences et moyens
financiers, particulièrement les politiciens en vue d’une certaine
pérennisation du statu quo.
En outre, toute la lubie de transparence gouvernementale, de justice
sociale et de répartition équitable des richesses de l’Etat claironnés par les
gouvernants « démocrates » ne se réduit qu’à des palabres. La
tyrannie de la parole mirobolante, de la fugue allocutive incorpore la nouvelle
classe dirigeante, et s’établit en tant que mécanisme de réitération et de
perpétuation de la domination du grand nombre. Il ne serait pas de trop
d’entrevoir dans le processus de déroulement de la transition politique initié
par le pouvoir démocratique du président Aristide en 1991, une entreprise
d’instauration d’arrangement et de positionnement dans l’arène politiques des
clans de frustrés, de torpilleurs, de revanchards, de grandiloquents et de
corrompus. Tous les référents communicatifs d’acteurs du nouveau régime
évoquant l’Etat responsable et la bonne gouvernance des autorités publiques
servent à masquer l’interminable pratique redondante de dédouanement,
d’irresponsabilité abjecte des dirigeants politiques. L’implantation du nouveau
régime politique post 86, participe et amplifie la logique et stratégie
communicationnelle structurant les inconséquences et le manque d’engagement des
dirigeants face aux multiples défis du « nouvel Etat ».
L’étoffe structurelle et discursive de la politique d’imposture et du
désengagement de l’Etat et de ses moyens, consubstantielle à l’arène politique
nouvellement établie et instituée lors du changement de régime en Haïti
post-Duvalier. Cette dite étoffe s’active et se modélise à chaque fois, suivant
des dynamiques temporelles et sélectives d’annonces et de promesses,
représentatives d’un ethos nonchalant et de supercherie caractérisant toutes
les entailles de l’administration publique, particulièrement son mode
d’organisation. En s’activant de manière représentationnelle, les
communications des hommes et femmes politiques du pays ramènent le jeu
politique à un niveau d’enclos tel, on entreverrait un pacte, un complot tacite
des acteurs politiques indifféremment de leur horizon politique. Ils-elles se
rangent dans un même registre de discours quand il s’agit de s’adresser aux
grandes couches sociales défavorisées, aux masses précaires de la société
haïtienne.
Cette triture gouvernementale s’impose par la
force de l’exercice et de la pratique délibérée des politiques, s’octroyant de
façon unilatérale le pouvoir de dire n’importe quoi et n’importe quand à la
population, sans aucune retenue et sérénité. Les acteurs politiques, une fois dans
l’étreinte de la gouvernance se confine dans leur glas de privilégié. Ils se
prélassent le plus souvent d’une attitude de fuyard ou de victime. Un mécanisme
leur permettant de se démarquer des affaires de la population pour se procurer,
s’inventer des mécanismes d’auto-contrôle et d’arrangement entre autorités et
hauts cadres de l’Etat pour mieux gérer et organiser la corruption d’Etat. Ce
qui amène le plus souvent, une rhétorique de déresponsabilisation dans la
fonction publique haïtienne, c’est-à-dire dans l’exercice d’une fonction
politique, impliquant l’administration publique ou de la gouvernance publique,
on entend souvent des titulaires tout en étant en position de responsabilité se
plaignant de la mauvaise gestion de l’institution ou de la boite qu’ils
dirigent. D’autant plus, c’est sans gêne que l’on trouve des chefs d’Etat ou
chef de gouvernement en fonction évoquent l’Etat en ces termes :
« leta sa a nou paka fè anyen avèl, nan eta li ye la », Evans Paul, de son rang de premier ministre sous la presidence de Michel Martelly lors de son passage à l’émission le point animée par Wendel Théodore en mars 2015. On peut en ajouter l’ex president Martely « sistèm politik kila a pouri, ou paka fè anyen avèl ». Lors de son discours d’investiture en mai 2010.
Des types de discours, on les
repère très couramment chez les grands commis de l’Etat. Ils cherchent toujours
une échappatoire, ils veulent constamment dissimuler maladroitement leur
responsabilité dans la gabegie institutionnelle et administrative en étant en
fonction. Ce qui témoigne de leur part un type de fatalisme agissant, tout en
étant en position de décideur dans la haute fonction publique. Cette attitude
ou posture des responsables d’Etat structure le champ de la responsabilité
politico-administratif et institutionnel haïtien. Elle crée une sorte de prédisposition
à accepter l’anormal, l’incompétence et l’irresponsable comme cadre de figure,
ou comme épiphénomène par la force de la représentation et de l’imaginaire de
l’Etat vache-à-lait produit par les politiques.
Dans la majorité des cas, la mobilisation du mal du pays des hommes
politiques et/ou candidats ramasse ou retrace l’ethos dénonciateur rejoignant
une forme spécifique de discours politique intégrant l’art de masquer. Ils ne
s’importunent pas réellement de l’obligation de changer le mauvais cap
fonctionnel de l’administration qu’ils entendent diriger. Dans cette
perspective, il est important de situer à chaque fois le porteur du discours
par rapport au système discursif diffus dans l’arène politique. L’usage préféré
et adopté de nos responsables en Haïti, accrochant le mensonge et la parole
fabuleuse peut être saisi comme un actant du système politique. En ce sens
Pierre Bourdieu évoque « l’importance et la force de la représentation en
rapport aux liens sociaux et communicatifs d’acteurs construit autour d’un
phénomène sans que ce phénomène soit réellement l’objet réel de l’énoncé [5]». Quand on
évoque la corruption en Haïti, surtout les politiques, on en fait pas débat
pour réellement plancher sur la question. Le plus souvent le lieu et/ou
l’individu qui porte le discours est davantage plus préoccupant que le
phénomène lui-même. Vu que, surtout au niveau de l’Etat manifestement, sa
présence (corruption), semble créer plus de spectacle que de mesure pour
redresser et sanctionner les pratiques l’engendrant.
L’épreuve de laquelle l’on parle dans ce texte, interpellant l’Etat
haïtien dans l’ère de la démocratie, n’est autre que les conjonctures et
circonstances se présentant à chaque fois dans la vie de la société haïtienne
apostrophant le réalisme et le scrupule des dirigeants. S’il est vrai que le chantier de l’implantation, de
l’instauration d’une autre culture politique n’allait pas se faire, se réaliser
sans hésitation et trébuchement, toutefois le leurre et la supercherie ne
sauraient mieux armer les acteurs dans cette entreprise. Déjà la réinvention de
la politique dans le contexte de la réorientation et de la reconduction des
rapports de pouvoir entre les dirigeants et la population est très mitigée,
très soupçonneuse. L’accumulation de déficit de transparence et de rectitude des
dirigeants dans les aventures engageant le sort des citoyens participe d’une
complication extrême des rapports citoyens-décideurs. La persistance des flux de
promesses de la part des politiques comme mécanisme de conservation et de
préservation de liens et rapports avec la population concourt à l’étranglement
et à la dénaturation des attentes des catégories sociales dominées dans la
transition politique. Par ce fait, les politiques, jusqu’à nos jours, plus de
trente ans après l’entame du processus par la force de l’irréalisation et de
faible accomplissement se mettent incessamment à mobiliser les mêmes
inquiétudes, les mêmes désarrois présentés sous l’échiquier politique par les
catégories sociales défavorisées majoritaires du pays depuis la grande révolte
de 1986.
Il suffit de procéder au décryptage, à l’examen des maquettes de
communication électoraliste depuis la campagne électorale de 1990 jusqu’à date
pour comprendre l’interminable procès de mythification du changement des
rapports des politiques vis-à-vis de la population. Le discours articulant le
besoin de changer les choses, de refonder l’Etat, de mettre les institutions
républicaines au service des masses défavorisées du pays se cantonnent depuis
l’ère d’Aristide jusqu’à Jovenel Moise aujourd’hui. La problématique de la sécurité
alimentaire, du relance de la production nationale et de la préservation des terrains
agricoles à l’échelle nationale, continue de ne pas être une préoccupation pour
l’Etat de la transition politique. La répartition et la redistribution des
biens et services de l’Etat, à travers toutes ses institutions et de ses
composantes, l’exigence cruciale, fondamentale de la grande majorité de la population
aux protagonistes de la transition reste refoulée.
Trop à l’affût de la substitution des groupes
privilégiés de l’ancien régime, la nouvelle classe politique émergée n’allait
se composer que de groupes d’intérêt rôdant autour de la nouvelle administration
publique, visant tous, la confortation de pouvoir, d’avoir et de privilèges en
gardant captif l’Etat « démocratique ». La mise à l’écart
tentaculaire des couches populaires venant des catégories paysannes, ouvrières
dans la redistribution de services par le nouvel Etat atteste des legs
exclusivistes de la dictature. L’imaginaire de privilégié, de conquérant
orchestré et promu par le pouvoir politique depuis le fondement de l’Etat
haïtien a eu tout son effet dans l’implantation de tous les régimes se défilant
au pouvoir depuis 1990. Le dilemme de la gouvernance démocratique haïtienne
semble s’inscrire dans l’adulation effrénée du mensonge dans les plus simples
interstices de la politique. Au fait, le mensonge intercepte la politique par
sa surreprésentation dans l’arène, mais concourt très souvent dans l’entremise
de séduction. Dans cette perspective,
Patrick CHARAUDEAU écrit :
« Dans l’arène politique, il est
impossible de ne pas mentir, au moins par omission. Pour réduire les risques,
les acteurs disposent de stratégies discursives bien rodée : celle de
l’oubli, du fou, de la dénégation et de la raison d’Etat. » Plus loin dans la réflexion, il poursuit en
disant « ce qui compte, dans le mensonge, n’est pas son fait, mais le
motif qu’il suscite. D’une manière générale, il est un acte de langage qui
obéit à trois conditions : énoncer le contraire de ce que l’on sait ou
pense ; en être conscient de ce qui fait un acte volontaire ; donner
à son interlocuteur des signes qui fassent croire à celui-ci que ce que l’on
énonce est identique à ce que l’on sait ou pense, ce qui distingue le mensonge
de l’ironie[6] ».
Toutefois, son recours et sa récurrence démesuré dans les liens entre la
population et ses dirigeants semblent concourir à délégitimer son usage.
L’inflexion quasi totale des dirigeants aux mensonges et la délinquance
officielle comme manœuvre de gouvernance, complique et restreint les
possibilités d’inter-compréhensibilité dans l’expression et l’assise de la
démocratie en Haïti. Tenir toute une population sous l’emprise de fausses
promesses et d’allocutions manipulatrices, loin d’engendrer un climat de
tranquillité, de sommeil chez les grandes masses pauvres, peut se révéler
incitateur d’actions violentes et illimitées dans ses portées. D’ailleurs l’on
a déjà vécu ces scènes-là sous le régime de Sylvain Salnave et aussi sous celui
de la dictature des Duvalier. Le mensonge, comme mécanisme de diversion des
politiques, ne fait pas cavalier seul s’agissant des manœuvres, des acrobaties
mobilisées par les dirigeants pour détourner l’attention de la population,
surtout les catégories défavorisées (paysanne et ouvrière) sur leur mauvaise
gestion. Leur disposition (les dirigeants) à inventer en grande propension des
scandales, fabriquées, provoquées et planifiées accompagne quasi
immanquablement leur opération mensongère. Les multiples occasions de
dévoilement de mauvaise gestion, de dilapidation et détournements de projets
fonds publics, d’impunité et d’enrichissement illicite orchestré par les dirigeants
d’Etat en sont récurrentes dans l’actualité politique. On peut encore revenir
avec le dossier de petro-caribe par le corps parlementaire durant ces deux
dernières années.
Plancher sur le dossier et créant tout un suspens dans la population,
l’assemblée des sénateurs semble enfouir l’affaire dans une nébuleuse attente.
Un ensemble de manœuvre discursive maladroite se déploie par le sénat haïtien, les
unes plus grotesques que les autres. Diversion, verbiage et pots-de-vin
dénoncés entre pairs dans l’affaire, semble participer d’un mécanisme de
neutralisation de l’opinion publique. Un fond que nos petits enfants auront
encore à rembourser, une dette crapuleuse que les contribuables doivent
supporter le coût pour le simple fait d’avoir été spectateurs et victimes de
l’avidité, de la cupidité des dirigeants de la république.
De façon pérenne, les gouvernements et
gouvernants dilapident les fonds publics, et s’en remettent à chaque fois à la
rhétorique du subterfuge, de démagogie et des arguties fagotées de toute pièce,
au cas où la clameur publique s’y mêle. Toutefois, par mégarde ou incommodité la
justice penserait à s’y introduire. Lors d’une séance en assemblée de sénateurs
à la fin du mois d’octobre dernier, une altercation s’est éclatée dans un
échange sec de propos irrévérencieux entre le sénateur Antonio Cheramy et Hervé
Foucand sur le dossier de corruption du fonds petro-caribe. Lors de
l’engueulade, c’était sans aucun retenu et dans une ambiance burlesque qu’on
assistait à une scène de grogne et de récrimination mutuelle. Une scène dans
laquelle les deux sénateurs se guerroyaient et se renvoyaient les insultes en
ces termes ; on pouvait entendre le premier crier :
« sepa sena a se yon bann vòlè ki ladann » et l’autre répliquait « pa gen moun ki sen la tout moun mouye nan dosye petro-caribe a ».
Ces exemples pris de façon éparse, comptent pour le moins parmi les
multiples situations qu’on pouvait en mobiliser. Dans la majorité des cas, des
situations concernant la reddition de compte et d’établir les responsabilités
d’acteurs de la gestion des affaires publiques ; pour lesquels la
population exige et attend des explications des gouvernants, aucun sérieux, ni
sens de responsabilité sont à rechercher du côté des dirigeants. Au-delà du
fait que les décideurs au niveau de l’Etat s’en moquent royalement du droit de
contrôle de la population, d’autant plus, ils estompent par cette attitude et
cette posture la possibilité de la réalisation de la politique. Sachant que
tout régime de démocratie représentative implique forcément l’explication entre
les représentants et mandants. La politique, telle qu’elle est aussi exercée
dans le cadre de l’instauration et de la consolidation dans l’ère de la
transition, se ramène trop souvent aux fresques du soupçon. Le grossissement de
confusion et l’averse d’accusation sans suite, de dénigrement crû, mobilisés
constamment par les hommes d’Etat dans l’administration publique de manière
réciproque, dissimulent, maquillent les défis sociaux pour lesquels ils ont été
choisi pour adresser et améliorer. L’arène politique établie après les Duvalier
semble se ramener pour être moins férule, à un cadre représentatif
d’enrichissement par les différents occupants-tes et constitue du coup l’espace
de prédilection pour l’accumulation de biens illicites et de privilèges
déraisonnés dans l’Etat.
Les aveux de l’ex-sénateur Anacacis Jean Hector dans différents médias,
particulièrement dans l’émission animée par Marie Lucie Bonhomme : l’invité
du jour – en novembre 2011 décrit très bien la corruption de nos législateurs. Il a tenu à préciser pour l’auditoire,
concernant le vote favorable à Laurent Lamothe pour devenir premier ministre du
pays : « tout moun mouye. Gen sa ki te jwenn gwo malét e gen lòt ki
jwenn ti malèt ». La question de l’idéologie politique, de la sérénité et d’engagement
sur les conditions précaires de la population ne sont jamais prioritaires pour
ces derniers. Les parlementaires (députés et sénateurs) ont choisi de s’enliser
sans aucune retenue dans l’appât du troc de vote contre des pots-de-vin et
faveurs provenant du réseautage de Laurent Lamothe. Le spectre de la corruption,
vraisemblablement, ne cessera pas de s’étendre sur le pays, car les plus hauts placés dans
l’Etat se rangent en ignobles promoteurs. Rendre l’Etat aux catégories sociales
négligées et méprisées durant les décennies de la dictature, tel a été le cri
des millions d’haïtiens et haïtiennes lors des mouvements de révolte un peu
partout sur le sol haïtien aboutissant à la fin du régime des Duvalier.
Revenons sur la question des scandales ! Toute la dynamique de
fourvoiement, tout le mécanisme d’errements machiner par les représentants de
l’Etat s’associent des circonstances peu claires articulant suspicions voulues,
très souvent, dans le cadre des actions posées ou menées au nom de l’Etat ou
sous le couvert d’autorité publique. Le flux et la récurrence des actes
répréhensibles des hommes et femmes au pouvoir en Haïti éclipsent leur responsabilité
et fonction par leur prolifération dans toutes les structures étatiques. Du
détournement de fonds publics par un directeur général de l’ONA, Sandro Joseph,
pour l’achat cash de voitures neuves à des époussettes sous le régime de René
Préval. De l’accusation de viol d’une assistante de bureau par le président du
CEP, en occurrence l’avocat Josué Pierre-Louis sous le régime de
Martelly ; l’annonce d’émolument de deux millions de gourges faite par le
premier ministre Evans Paul en faveur de chaque ancien haut dignitaire de son
gouvernement en fin de mission, sans prévision budgétaire. Et tant d’autres
actes pouvant se catégoriser aux rangs de ces faits situent l’ethos scandaleux
des dirigeants et autorités d’Etat. Au niveau de la diplomatie haïtienne, les
scandales se parent en grande proportion d’étoffe parlementaire. Et depuis bon
nombre d’années pour ne pas dire à l’aube du nouveau régime
« démocratique », Haïti n’arrive pas à s’octroyer les bonnes
opportunités de coopération et d’investissement étranger vu la maladresse et
l’incompétence de nos diplomates et chargés d’affaires. En assemblée, avec
beaucoup de stupéfaction et de niaiserie, les parlementaires se balancent et se
dénoncent sur le népotisme et le favoritisme étouffant, conditionnant le
déploiement de cadres expérimentés, formés, connaissant bien les grandes lignes
prioritaires du développement de partenariat dans des domaines stratégiques
pour le pays avec d’autres Etats. Des femmes, enfants, amis, époussettes sans
compétence et sans formation des parlementaires détiennent des lettres de créance
dans nos consulats les plus importants et représentatifs de notre diplomatie.
D’ailleurs, l’affectation de la fille non majeure du sénateur Jacques Sauveur
Jean au consulat de Washington avait créé, provoqué un scandale médiatique dans
l’opinion publique. Fors de cela, l’embauchage massif de personnels dans nos
divers consulats par les parlementaires et proches des dirigeants au pouvoir
témoigne de la situation déplorable du fonctionnement de notre diplomatie.
Les signaux de pays assisté que l’Etat haïtien continue d’envoyer aux
pays voisins et amis sont du ressort du fonctionnement diplomatique exécrable
dans lequel le pays s’est longtemps plongé. Gouvernement après gouvernement,
législature après législature, la population n’est jamais informée de
l’orientation des politiques étrangères du pays, en termes d’axes prioritaires
pour le développement d’accord et de partenariat durable dans les domaines de
santé publique, d’éducation, de formation professionnelle, d’agriculture et
autres. A l’exception des rares cas comme l’accord passé entre le gouvernement
d’Aristide en 1995 et de celui de Cuba pour la formation de professionnels en
soin de santé, poursuivi par le président Préval lors de son premier mandat.
Toutefois, l’on connait bien les suites malheureuses de cet accord, l’Etat
haïtien n’a pas su intégrer ces professionnels de la santé dans le régime
sanitaire public. Beaucoup de jeunes haïtiens-haïtiennes ont pu bénéficier de
bourses d’études après le séisme de 2010, dans des domaines quasiment non
répertoriés par l’Etat haïtien, s’agissant des programmes d’études constituant
une politique de mobilisation de savoirs et techniques pour le besoin de
l’Etat.
Ainsi, ce dont les politiques appellent
couramment « transition démocratique » en Haïti, semble rejoindre une
avalanche de reconduction de pratiques et imaginaires, réinterprétés dans un
système politique se réfutant les personnels ayant servi le duvaliérisme sous
prétexte de nouvelles présences dans l’arène.
JEAN WILLIAM
Sociologue, politologue, prof à L’UEH
Sociologue, politologue, prof à L’UEH
[1]- HUNTINGTON, Samuel “The change to change: Modernization,
Development, and Politics”, Comparative Politics, Volume.3, n° 3, p.288, Avril 1971.
[2]- GRISTI, Eric, La réforme de l’Etat, p. 354, Paris, Vuibert, 2007.
[3]- CORTEN, André, L’Etat faible. Haïti et la République dominicaine, p. 71, Editions
Mémoire d’Encrier, Québec 2011,
[4]- BARTHELEMY, Gérard, op.cit, page 45.
[5]- Bourdieu, Pierre, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques,
p.105, Paris, Edition Fayard, 1982.
[6]-
CHARAUDEAU, Patrick, “ L’art de mentir en politique”,
Article de la rubrique “Focus”, n° 256, Février 2014.
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