Le procès du déni communautaire en Haïti : une mécanique d’entrave de l’altérité | Par Jean William
Sur la voie du désenchantement quasi-total, la société haïtienne
s’enfonce de plus en plus dans le gouffre de la désolation. Les diverses formes
de représentations symboliques différenciées dont les deux grandes communautés
se font de l’existence, de l’intérêt collectif en témoignent de la rudesse et
de la grande difficulté de la réalisation du bien-être collectif. Les
catégorisations langagières, les locutions verbales telles que : ròch nan dlo, ròch nan solèy, ti milat, nèg
nwa, moun andeyò, moun lavil, se nourrissent et se renfoncent dans des
pratiques de distinction et de discrimination sociale dont la production
sociétale haïtienne offre et enchère depuis sa création. Nonobstant, les
querelles et luttes démesurées, acharnées entre les membres et/ou individus des
deux communautés décrites dans le précèdent article, persistent et se
renouvellent par l’incessante historique condition – situation socio-économique
antagonique des deux grandes catégories d’acteurs. Ces deux communautés, par
leur rapport continuellement animé par une méfiance réciproque n’en finissent
d’attiser une haine récurrente. Jusqu’à date, aucune d’elles ne fait preuve
d’intelligence historique et de responsabilité collective pour stopper les
stagnations politico-économico-sociales étouffant le pays depuis son
indépendance.
L’entrave communautariste suscite presqu’involontairement un réflexe de
déni d’existence partagé entre les deux grandes catégories identitaires et
représentatives accouchant dominants et dominés au sein de la société
haïtienne. Les désaccords et conflits, d’ordre socio-historique, persistent à
force que le rejet mutuel des possédants et possédés s’accumulent et
s’aiguisent. Les élites (économique et politique) constituant les catégories
dominantes de la communauté de raison, apparemment n’ont jamais pris, mis le
temps pour faire une rétrospective de leur désagrégation et de leur manque
d’implication dans la mise en œuvre des projets et investissements durables et
collectifs dans le pays. Elles (les élites dominantes) poursuivent sans répit
leur projet de deshumanisation de la communauté des dominés par l’accaparement
d’un ensemble de privilège hautement distinctifs dans la société haïtienne :
l’Etat, le pouvoir, la richesse. Encore, du côté de la communauté de dominants,
la peur de voir les catégories sociales majoritaires et pauvres sortir du mal-être,
se cristallise comme un réflexe schizophrénique, s’érige comme une vraie
préoccupation. Pas une fois, dans toute l’histoire de la nation haïtienne, les
castes dominantes ont fait montre d’équité historique, en ce sens de faciliter
l’accès aux grandes majorités pauvres aux biens et services en libérant de leur
emprise exclusiviste. Du côté de l’autre communauté, les catégories sociales majoritaires
dominées, vivant sous le plein régime de manques à tous égard, refoulent le
plus souvent les initiatives de dialogues francs. Ils ont toujours tendances à
repousser l’aiguisement des contradictions aux fins de permettre l’éclatement
du système instaurant leur domination. Systématiquement, les politiques issus
de leur communauté optent pour les négociations affairistes, opportunistes,
anti-conscience de classe, impromptu et démagogiques, prolongeant du coup, le
cycle de l’intolérance historique des deux communautés vis-à-vis de l’intérêt
majeure de la nation.
L’interminable situation de crispation socio-économique de la majorité
des défavorisées du pays enfourchent les possibilités, les velléités manifestes
de tolérance réciproque. Le dilemme de la réconciliation historique entre les
deux communautés agonise presqu’incessamment les fresques humanitaires entre
haïtiens. L’impasse de la concession mutuelle pour la réalisation d’un accord
national de nos priorités et de l’envergure de nos défis vers le progrès
socio-économique s’entérine dans l’indéterminable. En outre, les marasmes
socio-économico-politique persistent et aggravent la misère acerbe des plus
pauvres, et la dépendance continuelle des élites dirigeantes par rapport aux
puissances impérialistes internationales. Vouloir un pays sur les rails de
développement, construire un Etat responsable, moderne, conjuguant bonne
gouvernance et respect de droit des individus, dans le contexte du schisme
social dans lequel nous pataugeons depuis environ deux siècles, devrait en
toute logique passer par ce dont Gaborit PASCALINE appelle l’amnésie culturelle[1].
Dans le contexte cambodgien, plus précisément lors du procès des anciens
khmers rouges, ce concept traduit le refus des familles victimes de la junte
militaire, marque leur opposition au retour des souvenirs dérangeants,
craignant un retour du cycle de la vengeance, le retour du passé dans leur vie
quotidienne. Et du côté des bourreaux de Pol pot, ils ont accepté la création
des conseils de justice pour juger les coupables et prononcer les sentences qui
conviennent afin d’établir les conditions d’une possible vie commune entre les
deux camps. Beaucoup d’autres sociétés comme le Rwanda et l’Afrique du sud ont
dû passer par l’amnésie culturelle, même lorsque le cas de l’Afrique du sud
reste pendant. Dans cette perspective,
l’amnésie culturelle nous aiderait non seulement à nous regarder en face et
partager les responsabilités en ce qui a trait à la restitution et rétribution
des actes de chaque communauté. Mais aussi, dans le contexte haïtien, elle nous
permettrait de nous rejoindre avec responsabilité partagée, et nous entendre
sur ce dont nous parviendrions à mettre d’accord pour construire une société de
justice sociale entachée d’une vision conjuguée du développement du pays par
imprégnée des aspirations partagées des deux communautés.
Nous dépasser culturellement, du point de vue du partage sectaire de représentations
et symboles socio-langagiers consiste en une vraie obligation. La propension
des écarts et disparités entre les deux grandes communautés doivent se défaire
en vue de la construction commune d’une altérite socialement active et pratique.
Projets, activités, traditions et rituels doivent subir de nouvelles
influences, de nouveaux souffles, dérivant des manières de dire et de faire où
l’une et l’autre communauté se trouve impliquée et valorisée s’agissant de la
quête de l’intérêt commun. Dans un possible commun accord, et dans le
bouillonnement juxtaposant un sursaut de soi, une sortie vers l’autre, les
trames accusatoires, sensés ou non peuvent se recaler sans aucun souci de
dédouanement afin de se lancer dans la perspective anti-communautariste et
anti-sectaire. Et de là, peut surgir d’éventuelle porte de sortie vers le
dépassement culturel de la construction des schèmes communicationnels engendrant
une sorte de dépendance les unes par rapport aux autres. L’amnésie culturelle
vise entre autres la justice sociale, la redistribution équitable des
biens/services et une altérite amplement acceptée et conjugué entre les
communautés en conflit.
L’incessant procès de mobilisation des figures historiques (Dessalines,
Pétion, Toussaint et autres) des deux grandes communautés évoquées ci-dessus
sous l’impulsion événementielle de la politique, de l’entaille économique,
participe de l’imaginaire de rejet départageant, désunissant les membres des deux
communautés culturellement, économiquement disjoint. Les refrains victimaires
de l’une et les méandres mea culpa de l’autre étouffent, enraient l’émanation
de toute possibilité de rapprochement, et de l’entente vers un pacte sociétal
pour ériger l’intérêt commun au-dessus du particulier, communautariste,
sectaire. Un survolte par rapport à ce fait, à ce conflit historique exigerait
sans doute un renouveau dans les pratiques et reflexes – c’est-à-dire les
manières de faire et de dire des deux communautés. Il faut partir sur de
nouvelles bases avec des perspectives engageant nos aspirations communes de
changements, complicité humanitaire de la société haïtienne déchirée, meurtrie.
L’établissement de nouveaux liens de confiance est incontournable pour apaiser
les flirts accusatoires terrassant les deux communautés dans une loufoque
réciprocité. La construction des liens d’ouverture sur l’autre dans des
conditions réelles d’existence doit passer par la reformulation des vecteurs
culturels, symboliques, communicatifs, associatifs dans les différents rapports
qu’elles s‘entre partagent. Elles (les deux communautés) doivent entendre
poursuivre et établir une possibilité de confiance au sens où le développe, le
décrit Niklas LUHMAN[2], en
occurrence une tolérance s’ouvrant sur l’espoir commun de s’entendre et
d’acceptation réciproque.
La corruption : reflexe partagée, méandre
des deux communautés
Habituellement en Haïti, et peut être dans bien d’autres sociétés,
lorsqu’on évoque le phénomène de la corruption, l’on a tendance à caricaturer
certains actes, certaines infractions et malversations sous le vif de
l’actualité. Au niveau de notre société, on s’efforce dans la majorité des cas
à mettre l’emphase sur le phénomène de la corruption à partir des faits piquant
l’opinion publique, et aussi dépendamment du groupe ou de l’individu qui se
trouve impliqué. Les arrangements entre proches ou groupes rivaux surplombant
les normes et principes directeurs de l’administration publique tels que :
le vol, le détournement de fonds, l’escroquerie et autres actes illicites y
font souvent aussi partie. Dans son mode d’articulation, la corruption,
dissimulée par les autorités sous le couvert de montage de commission
officielle semble s’établir en règle. Le phénomène de la corruption, pratiqué à
un rythme accéléré par les politiques et dirigeants haïtiens est en passe de
confiner l’Etat dans les glaives de la suspicion et du lest. En tout cas,
définir la corruption n’est pas chose facile, du fait des variations
culturelles dans la hiérarchie des valeurs, dans la délimitation réciproque du
public et du privé, dans l’attitude plus ou moins laxiste des élites et de
l’opinion publique tergiversée. Selon Yves MENY : « la corruption peut
être définie comme un échange clandestin entre « deux marchés », le
marché politique et/ou administratif et le marché économique et social. Cet
échange, poursuit-il, est occulté car il viole des normes publiques, juridiques
et éthiques et sacrifie l’intérêt général à des intérêts privés (personnels,
corporatistes, partisans etc.). Enfin, dit-il, cette transaction qui permet à
des acteurs privés d’avoir accès à des ressources publiques (contrats,
financements, décisions, …), de manière privilégiée et biaisée (absence de
transparence, de concurrence) procure aux acteurs publics corrompus des
bénéfices matériels présents ou futurs pour eux-mêmes ou pour le groupe ou
l’organisation dont ils sont membres[3] ».
Cette perspective ou approche développée par Mény, constituera en quelque sorte
la grille d'analyse des diverses pratiques visibles ou en sous-bassement dans
la société haïtienne, des formes de représentations regroupant divers secteurs
de la vie nationale et surtout des dirigeants d'Etat. En outre, cette façon de
présenter la corruption par ce dernier nous offrirait toute la latitude pour
déployer, pour développer nos réflexions sur l'ancrage de la corruption au sein
de l'administration publique haïtienne. Si l’on remonte au tout premier moment
de notre histoire de peuple libre, c’est-à-dire depuis le début de l’expérience
de l’exercice de la gouvernance du pays par les premiers hommes d’Etat :
Dessalines, Pétion, Boyer, Christophe et autres. Il faut préciser que depuis le
tout début d’Haïti comme république indépendante, le phénomène de la corruption
s’installait déjà dans les arènes politiques et administratives du nouvel Etat.
Déjà sous l’administration de Dessalines, l’infamie de la corruption des
dirigeants politiques par le biais, sous l’impulse de l’usage des adages,
hélait fort bien en toute obscénité ses pairs, s’agissant d’acquisition de privilèges,
de biens illicitement octroyés, appropriés au détriment des intérêts
collectifs : « Plimen poul la men pa kitel rele ».
Pétion aussi, pour son compte, durant son administration ne se montrait
anxieux par rapport à l’opulence corruptrice de ses partisans et alliés. Tout
en étant chef de l’Etat, ce dernier n’éprouvait aucune gêne pour inciter et/ou
même interpeller ses partisans à la corruption. Il barbouillait son propre
dicton pour légitimer la corruption de son clan social d’appartenance – les mulâtres
et de grands généraux de l’armée : « vòlè leta pa vòlè », comme
si les biens de l’Etat n’étaient pas la part de tous et de toutes, par la
construction collective de richesse et le paiement de taxes de tous les
contribuables. Boyer pour sa part, dans sa campagne de mobilisation de devise
pour honorer les requêtes de la France s’agissant de payer les factures de
l’indépendance haïtienne évoquait déjà le fameux adage « chimen lajan pa
gen pikan ». En effet, la situation de pérenne corruption étatique semble n’être
pas toutefois liée strictement à la politique. Elle (la corruption) est un
phénomène subséquemment intégré dans la formation sociale de l’Etat nation. À
ce propos, Lesly PEAN, économiste et écrivain haïtien évoque une situation de
corruption quasi généralisée issue, résultant de notre histoire coloniale
teintant toutes les sphères, tous les secteurs de la vie nationale. Il écrit :
« la question essentielle en Haïti vient du fait que la structure du
pouvoir héritée de la corruption organisée avec les 5.000 plantations de
Saint-Domingue comportait un système de relations sociales (entre les individus
et groupes) dans lequel la collaboration n’est qu’épisodique, pour ne pas dire
inexistante. Les individus vivant dans la société coloniale n’ont pas
d’objectifs communs. Les esclaves veulent être libres. Les maitres blancs
veulent les garder en esclavage. Les affranchis veulent avoir les mêmes droits
que les colons blancs. Les administrateurs coloniaux veulent défendre les
intérêts de la France. Les colons blancs veulent vendre leur production aux
Etats-Unis et non à la France.[4] »
Dans la société haïtienne, nous devons sereinement aborder et adresser
le phénomène de la corruption pour réellement saisir et comprendre ses méfaits
et conséquences sur le niveau de vie que les élites dirigeantes (économique et
politique) ont toujours offert à la population. Les malversations et fraudes
dans les programmes et actions gouvernementales de manière successive sont
représentatives du dirigisme des différents individus ayant été à la gouverne
de l’Etat. Les gestionnaires et administrateurs des intérêts collectifs et
biens publics indépendamment de leur tendance et idéologie ne se sont jamais
montrés en grande majorité loyaux et impartiaux. L’acharnement, la frénésie aux
enrichissements illicites et détournements de fonds public de chaque régime
politique, participe de l’encrage du phénomène de la corruption dans la société
haïtienne. L’avidité et la cupidité des hommes d’Etat et alliés du secteur
privé des affaires, participent grandement au blocage de la modernisation des
institutions publiques, de l’instauration d’un service socio-éducatif adéquat à
la population. L’Etat haïtien, réduit au mode fonctionnel minimal, se refuse
ses engagements vis-à-vis des individus dans la société haïtienne. Cette
posture des hommes et femmes d’Etat par rapport au reste de la population
s’enjoint à la grille analytique d’Etat pariât[5]
théorisé par Daniel HOLLY. Ainsi, la corruption devient un phénomène englobant.
Elle enveloppe les secteurs et champs d’activités quasi-total de la société
haïtienne. Il semble qu’elle ait bien ses enracines dans les plus vieilles
histoires de gouvernance et de gestion du pays comme une nation libre et
indépendante.
La vie dans la corruption à force d’être construite dans les exceptions
et aussi dans les vicissitudes de la vie courante semble nous préparer
mentalement, nous prédisposer réflexivement à en vivre et en pâtir ces
conséquences. Conscient ou inconscient, la grande majorité de la population
haïtienne, semble s’enliser dans un cycle irréversible de sa mobilisation, un
enclos sans aucune échappatoire possible. Dans la majorité des cas, il semble
exister une sorte d’entente tacite entre les différentes catégories sociales du
pays, entre les deux communautés constituant notre cadre analytique, en ce sens
qu’elles fétichisent chacune à sa manière la réitération des pratiques
corruptrices dans leur action commune, inter-action et inter-relation. Les
pratiques corruptrices interpellent les gens sans aucune distinction de classe
ou secteur d’appartenance. Déjà, les usages sociaux des locutions verbales et adages
structurent les modes d’agir, de réfléchir et de se représenter le corps
social. Ils facilitent et englobent parfois de façon anodine l’intériorisation
des pratiques symbolisant et synchronisant le phénomène de la corruption.
Les adages par leur caractère de
dissimulation, offrent un rhétorique discursif automatique aux politiques en
termes de communication politique. Et l’on doit comprendre c’est l’une des
raisons pour lesquelles ils les mobilisent toujours, s’agissant d’amadouer les
catégories majoritaires défavorisées du pays. En outre, ils (les dictons)
semblent faciliter un rapport vif et même immédiat entre les partisans –
sympathisants et politiciens. L’épreuve de leur usage achevé, réussit forge et
imbrique les deux acteurs (partisans et politiciens) dans un rapport
dialectique, en ce sens qu’ils (les dictons) en servent de modelage
communicationnel aux acteurs et ces derniers à leur tour leur confère, leur
apporte une sorte de légitimation dans le champ social et linguistique. Ainsi,
dans cette perspective John.E.JOSEPH, avance « le langage est une arme
hautement politique et que la politique est un langage spécifique, le plus
souvent se laisse décrypter à travers des codes et symboles du dire dont les
acteurs entr’eux se départagent pour conquérir l’assentiment et l’adhésion du
grand nombre[6] ».
La mobilisation des adages par les politiques en Haïti, le plus souvent
épouse, rejoint une démarche, un
mécanisme de fugue, de subterfuge et de mépris. En ce sens qu’ils (adages)
leur (les politiques) permettent d’esquiver
les problèmes fondamentaux de la population dans leur discours et/ou
communication que ce soit en situation de campagne électorale ou du moins en
poste de responsabilité. Cette attitude maniaque et désinvolte des politiques
haïtiens semble être adulé par les grandes foules, en ce qu’elles s’amènent et
se trouvent souvent neutraliser lorsque ces derniers (les politiques)
mobilisent avec burlesque nos adages et proverbes au cours des cérémonies et
causeries officielles. Un cas typique a été la mobilisation maladroite et
jocrisse du défunt Président René Préval, lors du drame du navire Fierté Gonâvienne en 1997, causant la
mort à des dizaines de personnes. Pour esquiver ses responsabilités vis-à-vis
du besoin d’établir et de disposer le pays de bonnes infrastructures liées au
transport maritime afin d’anticiper et d’éviter de tel désastre à l’avenir. Il
a préféré de faire choix de molester la population avec son fameux
adage « naje pou sòti ». L’évocation de cet adage dans cette
circonstance assimilait une indifférence déconcertante, horrible et grotesque
de la part de l’ancien président vis-à-vis de la population. En relatant ce
propos dans notre vernaculaire, l’Etat avouait son incapacité pour s’occuper
des problèmes et défis des citoyens-nes. D’autant plus, l’évocation de ce
dicton par ce dernier frôle l’invitation saugrenu de celui-ci à un
individualiste fatal s’agissant de la désolidarisation des liens sociaux entre
les gens, c’est-à-dire la décongestion des rapports d’entr’aide qui ont
toujours soutenu et permis la résilience des diverses catégories sociales
méprisées et oubliées par l’Etat. Et depuis son évocation par l’ancien
président jusqu’à date cet adage a pris une toute autre tournure dans
l’imaginaire collectif. Depuis lors, il (l’adage) a pu se ranger, s’aligner
définitivement dans l’univers des représentations mémorielles et
communicationnelles de la population.
L’usage des adages/dictons constituant notre champ d’analyse, au-delà du
fait qu’ils sont subséquemment conditionnés par la production multiculturelle
et socio-conjoncturelle, néanmoins sont susceptibles d’inciter, d’occasionner
des modes de rapports, d’interrelations conscients ou inconscients conduisant à
toute sorte d’infamie et de compromission. Ces rapports et inter-relations,
souvent, se développent entre les groupes d’intérêt autour des dirigeants
politiques, des clans/groupes proches des autorités administratives, et aussi
entre les prestataires de services dans l’administration publique et les agents
/fonctionnaires. La tendance à outrepasser les règlements et normes de
fonctionnement des institutions publiques haïtiennes, de par l’extrême avidité,
l’incessante goinfrerie affichée par les dirigeants/dirigés, à cause de la
collusion d’intérêt entre secteur public/secteur privé, la discorde et zizanie
entre prestataires/usagers de service publics au sein de l’administration
publique, il en résulte de manière continue une criante opacité sur le mode
gestion et le mode d’organisation des opérateurs du service public. D’un côté
l’on retrouve les fonctionnaires se livrant à des pratiques de colportage et de
chantage pour sous-tirer de l’argent des prestataires, et en même temps susceptible
d’établir un réseau de raquette – de l’autre côté l’on retrouve les
prestataires qui se lancent dans la quête d’établissement des relations
jonchées de clientélisme et de favoritisme auprès des fonctionnaires esquivant
les normes institutionnelles, les principes directeurs de l’administration
publique.
Si l’on s’en tient aux étroites relations des pratiques abjectes,
corruptrices des politiques et de leur acolyte en rapport aux différentes
représentations mémorielles collectives faites des aphorismes tels que :
« baz pam, kolòn ki bat, moun pam, klan pam, zo kòt pam » on pourrait
déjà entrevoir la pérenne corruption d’Etat est représentative de la faiblesse
structurelle des institutions publiques. Les hommes politiques, aussi bien que
tous ceux et toutes celles qui sont en poste de responsabilité dans
l’administration publique en Haïti, le plus souvent se disposent et se
placardent à contourner les normes définissant le cadre de leur responsabilité.
Ils préfèrent adopter et préconiser un type de supplantation stratégique des
normes administratives sous le couvert de la politique, c’est-à-dire, le jeu
partisan, tout en interpellant et en mobilisant ces codes langagiers
(adages/dictons) dressant, érigeant des passerelles de traitements de faveur.
En ce sens, John E. JOSEPH « voit dans l’usage des adages/proverbes dans
l’arène politique comme une passerelle incontournable, susceptibles de
contre-faire ou même défaire les règles et principes connus de tous. Ils sont
une sorte de création impromptue pourtant impensable dans les jeux et rapports
politiques entre acteurs et adhérents/sympathisant[7] ».
Les affaires de corruption, en pratique, dans presque la majorité des
cas embrassent, côtoient toujours le phénomène du clientélisme. Ces deux termes
sont fréquemment accolés l’un à l’autre. Ce rapprochement des deux termes
suggère, selon Jean-François MÉDARD[8] marque
leur point de connexion. Il poursuit, en disant qu’ils se recoupent largement
sur le plan conceptuel et analytique sans se confondre, et de surcroît, sur le
plan empirique, les phénomènes auxquels ils renvoient sont fréquemment
associés. Il postule qu’il existe l’intérêt d’une double clarification,
relative aux concepts en premier lieu, et aux interactions entre les phénomènes
auxquels renvoient les deux concepts. Dans cette même perspective de
clarification, Donatella DELLA PORTA[9]
oppose ainsi la corruption politique, définie comme un troc, décisions
politiques contre argent-, et le clientélisme, stipulant échange de faveurs
contre les suffrages électoraux.
Le clientélisme s’oppose alors à la corruption marchande, comme une
forme de corruption fondée sur un échange social s’oppose à une autre forme de
corruption fondée sur un échange économique. Ainsi, le clientélisme politique
repose sur un ensemble de pratiques qui instrumentalisent politiquement
certains types de relations personnelles. Au fondement du clientélisme
politique se trouvent des relations de clientèle sur la base desquelles vont
s’édifier des réseaux de clientèle. Jean-Louis Briquet, spécialiste du
phénomène de la corruption et des réseaux de clientélisme d’Etat dont les
travaux se situent sur le terrain d’Italie et de la France, dans plusieurs de
ses travaux que ce soit dans son article intitulé « système des pots-de-vin.
Normes et pratiques des échanges corrompus dans l’Italie de Tangentopoli »
ou du moins dans l’entretien qu’il a réalisé avec Gérard Mauger et Louis Weber,
Intitulé « Clientélisme et pratiques politiques officieuses. Un regard sur
l’histoire récente de l’Italie » ; ces deux textes pointent du doigt la
collusion existante entre les intérêts d’Etat et privés découlant des cartels
de clientèle dont les hommes d’Etat en Italie, se construisent à partir des
organisations mafieuses, lesquelles organisations agissant en dehors des règles
et principes régissant l’administration publique italienne pour le compte des
hommes d’Etat, des élus et autres.
Dans le contexte haïtien, la délimitation des faits renvoyant au clientélisme
et à la corruption n’est pas trop évidente. Établir la corruption des hommes
d’Etat et/ou des hauts cadres de l’administration publique haïtienne
s’apparaitrait déjà à un casse-tête chinois. Les réseaux ou cartels structurés
à côté ou en dehors des normes et principes directeurs des institutions
publiques, entre les commis de l’Etat et les hauts fonctionnaires pour
s’approprier, se partager faveurs et avoir illicites sont légions et imposants.
Par exemple, la période qu’on a tendance à étiqueter de transition démocratique
dans l’histoire politique récente d’Haïti, est aussi entachée d’une vague
d’affaires de corruptions successives. D’innombrables et d’imposants réseaux de
clientélisme sont érigés autour des grands projets et chantiers publics (construction
de route, cantine scolaire, logement sociaux, construction de centre
hospitalier), sous prétexte d’ouverture et d’intégration de tous les secteurs
politiques et d’affaires dans la gestion de d’Etat. Le phénomène de conflit
d’intérêt, bien délimité en droit administratif et dans le management public s’impose
quasi en principe dans les transactions et concessions de projet public.
Les principes de passation de marché et d’appels d’offre sont très
souvent refoulé et négligé volontairement par les cadres de la finance, et
aussi par les hauts fonctionnaires de l’administration publique. Et parfois,
les grands commis de l’Etat, sans aucune gêne s’interposent dans les
négociations entre l’Etat et les entreprises privées pour surfacturer les
projets étatiques, vu que ces hauts fonctionnaires possèdent des actions ou
sont propriétaires des firmes sélectionnées pour accomplir les travaux rentrant
dans le cadre du déploiement des politiques publics du gouvernement poste. Le
phénomène de conflit d’intérêt semble être consubstantiel aux différents
gouvernements de l’ère dite « transition démocratique ».
Durant les deux périodes dans lesquelles le président Aristide a été élu
comme chef d’Etat, Le phénomène de clientélisme ou de favoritisme d’Etat était
très fréquent. Complaire ses alliés- partisans, et solidifier ses rapports avec
les différents dirigeants OP et quartiers populaires de L’aire métropolitaine,
l’a conduit à l’embauchage et le favoritisme dans les différentes institutions
de service public. Sans diplôme, sans formation spécifique et sans qualité, les
membres de Fanmi Lavalas, son parti politique et les sympathisants dans la
majorité des cas ont un emploi, ou un chèque dans l’administration publique. Dans
une autre perspective de conservation de son pouvoir, le président Aristide
allait créer un ensemble de groupe d’intérêt entourant le pouvoir, que ce soit
par leur entrée au sein du gouvernement ou du moins par la concession faite par
l’Etat d’un ensemble de contrat à des familles mulâtres proches d’Aristide tels
que : les Vorbe, les Bossant, les Brandt pour ne citer que ceux-là. En
outre, les pratiques de collusion, de clientélisme et corruption d’Etat allait
se massifier avec sa réélection à la tête du pays dans des conditions très
controversées en 2000. L’usage du slogan « ti fanmi » et la simple
possession d’une carte de son regroupement politique pouvait sans grand
problème substituer une carte d’identification nationale pour la prestation
d’un service dans les différentes institutions publiques d’alors, et ceci
l’agent ou le fonctionnaire en poste, même dans son droit, c’est-dire en respectant
les normes institutionnelles de prestation de service, peut être fragilisé,
menacé ou même révoqué s’il refuse le service à un militant Lavalas non
qualifié.
Le régime Lalavas avec Aristide comme chef, nous dit Christophe WARGNY,
« se basait sur l’optimalisation des clans et groupes issus des quartiers
pauvres et populaires du pays sans aucun souci de poser les problèmes sociaux
réels des catégories défavorisées proches du pouvoir. Aristide, alors président
du pays se refusait les normes et principes de fonctionnement de tout état
démocratique par l’imposition de sa personne, de sa volonté au détriment des
principes juridiques. En outre, l’appât sur l’enrichissement rapide et illicite
du chef et de ses proches, par le refoulement des normes réglementant
l’administration publique symbolisait, caractérisait sans grande inquiétude l’administration
Lavalas d’Aristide[10]».
Sous le règne du régime Lavalas, un procès de banalisation et
d’affaiblissement des institutions du pays s’enclenchait avec beaucoup de
désinvolture. Les principales institutions publiques s’inscrivant dans la
tradition d’offre publique de service, c’est-à-dire les grandes boites de
l’Etat comme : TELECO, EDH, CAMEP étaient toutes politisées à un point tel
que l’on évoquait, l’on associait l’octroi de service aux bonnes grâces du
président. L’embauchage et la surpopulation dans les différentes institutions
publiques étaient monnaie courante. Dans cette perspective, Jean Claude JEAN et
Marc MAESSCHALCK, en analysant la transition politique haïtienne de 1986,
surtout en présentant les mécanismes mis en place par le pouvoir Lavalas pour
l’établissement de la démocratie, après la longue dictature des Duvalier, voient
en somme une juxtaposition d’échec et de grandes désillusions. Ils écrivent :
« le régime d’Aristide ne s’est pas intéressé à rendre indépendantes les
institutions démocratiques, il n’a jamais réalisé d’élections crédibles,
libres. Et durant les périodes de son règne à la tête du pays, Aristide n’a
vraiment pas montré de l’engagement et de détermination pour la création et le
renforcement des institutions démocratiques prévues par la constitution (le
conseil électoral permanent, l’installation des juges à la cour de cassation,
le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) etc.). Ils poursuivent en
disant qu’Aristide ne cherchait qu’à s’imposer au lieu de démocratiser l’Etat,
et comme leader dans la transition il n’a fait que retarder le processus de la
transition politique se voulant démocratique »[11].
L’appartenance ou l’accointance à « ti fanmi », famille
Lavalas, regroupement politique mis en place par l’ancien prête Aristide,
métamorphisé par des expressions baz pam,
fanmi pam, zo kòt pam et autres adages symbolisait bien déjà des codes
langagiers, des aphorismes marqueurs de reconnaissance mutuel entr’eux. Entre
temps, l’usage des adages évoqués ci-dessus connaissaient déjà un grand succès
dans les conversations, communications et causeries des gens des différents
secteurs de la population. En quête d’établir un type de reconnaissance
mutuelle, ou par souci de se représenter, de se créer un cadre socio-affectif,
les aphorismes évoqués plus haut étaient très mobilisé par les militants
Lavalas pour l’obtention de services et d’octroi généreux de biens ou d’argent
que ce soit au sein des institutions publiques ou par l’entremise des bases,
des OP (organisation populaire), cellules de dépôt et de distribution d’argent
du régime par et pour ses militants.
L’usage outrancier d’Aristide des
adages comme : nèg anwo, nèg anba,
wòch nan dlo, wòch nan solèy, lors des discours officiels, s’adressant à la
population de façon systématique, spécifiquement durant son premier mandat,
s’apparenterait à une forme de sensibilisation, de mobilisation des catégories
sociales majoritairement pauvres du pays vivant dans les bidonvilles de
Port-au-Prince et des provinces pour prendre en main leur destin par rapport à
l’exploitation des riches du pays, de la bourgeoisie d’affaire. Les répétitions
excessives d’Aristide des adages comme créneaux communicatifs, paraboliques,
métaphoriques semblent n’avoir aucune comparaison dans les discours ou
communications politiques de nul autre président depuis l’ère de la transition
politique. Vraisemblablement, sa persistance à l’usage de ces actants
langagiers n’a été rien de plus que de la supercherie. Au fond, il s’agissait
d’un mécanisme de manipulation des grandes foules en lieu et place d’une
conviction politique d’adresser le défi social de la grande disparité
économique entre les gens majoritairement pauvre du pays et les minorités très
riches.
Lors de son retour au pouvoir en 1994, son régime n’a mis sur pied aucun
plan stratégique, aucun programme socio-économique progressiste pour réduire
l’inégalité sociale criante entre riche et pauvre du pays. Avec l’adage yon sèl nou fèb, ansanm nou fò ansanm ansanm
nou se Lavalas, yon sèl dwèt pa manje
kalakou et autres, Aristide voulait rassembler autour de lui, les miséreux
et misérables du pays pour établir et renforcer son régime pour beaucoup de
temps. Mais les inactions de son pouvoir vis-à-vis des conditions de vie des
masses pauvres, allaient vitement démasquer son discours rassembleur. In
summum, le profil d’Etat instauré, développé par les différentes
administrations post-Duvalier ne se diffère pas trop en termes d’irrespect et
de mépris pour la population. Tous les efforts de la volonté populaire pour
démocratiser l’Etat n’ont pas pu mettre un terme aux attitudes et comportements
dédaigneux et hautains des hauts responsables et autorités de l’administration
publique. L’incompétence et l’irresponsabilité des politiques les enjoignent
dans une forme d’inertie morale, confinée d’un procès de manipulation et de
mensonge pérenne définissant les contours de l’Etat dit « démocratique »,
émané depuis les premières élections libres de 1990. Le verbiage, le
jacassement et tout type de mécanisme conduisant à fourvoyer les catégories
socio-économiques majoritairement précaires de la population constituent un
recours indispensable aux politiques et hommes d’Etat haïtiens.
La période dite de « transition démocratique » dans l’histoire
politique récente d’Haïti a inauguré de façon abjecte un type de frasque, de perversion
du dire sous prétexte de démocratisation de la parole. Les politiques ne se
prélassent d’aucun retenu, d’aucune réserve s’agissant de souffler des feux de
promesses à l’égard des attentes populaires. Et la fureur de la population de
précipiter, de provoquer le nouveau dans l’échiquier politique, c’est-à-dire
changer de régime politique en adoptant la démocratie, a conduit à un
déferlement de revendication sociale, économique et politique nécessitant,
exigeant le sens de responsabilité, d’engagement et d’endossement des
politiques. Pourtant, si l’on essaie d’observer de près l’agissement des différents
chefs d’Etat, de divers gouvernements depuis l’ère de la transition, les défis
sociaux, les problèmes d’infrastructures de base, le quasi inexistence et
d’indisponibilité des services publiques s’incrustent, s’accroissent comme des
réserves de sujets, de thématiques électoralistes convolant un certain art de
manipulation populaire, rejoignant, du coup, la théorie de réserve de promesse
dans le champ de la gouvernance politique exposée et développée par William H.
RICKER[12].
La politique, telle qu’elle est saisie,
pratiquée par les acteurs post-Duvalier semble s’ériger en des palissades
obstruant, en ce qui a trait aux phénomènes liés aux règles de la bonne gouvernance :
rendre compte, expliquer et faire comprendre sans subterfuge les actes posés au
nom de l’Etat par les hommes et femmes occupant des postes stratégiques et
importants dans l’administration publique. La modique habitude et/ou tendance
de recourir aux racontars de nos politiques, soutenue par l’accès le plus souvent
mercantilisé des médias, aux biens des égards, et ceci de façon très subtile,
participe d’un projet de dégénérescence de l’ère démocratique. Cette
dégénérescence s’expliquerait par ce type de représentation collective du dénie
et du mépris des institutions régaliennes dont favorise la presse, tout type
confondu. Les médias « démocratisant » étonnement, se contentent de dégager
toujours beaucoup plus d’espace aux hommes politiques, ce qui n’a rien de
mauvais en soi. Toutefois, quand cette liberté de parole se réduit à une
échappatoire pour ces derniers afin de chamailler leur innocence, pour jouer la
victime au lieu de s’accommoder aux jeux démocratiques et institutionnelles
interpellant le sens de responsabilité, la grandeur d’âme, le décompte, la
démission quand il faut, et explication à la nation de leur agissement pour une
fonction occupée dans l’administration publique, cette presse peut être bien considérée
en tant qu’une partie du problème.
Vraisemblablement, rien n’a changé dans le comportement politique des
leaders et des différentes catégories dominées de la population depuis les
envoûtantes révoltes populaires de 1986. La pathologie de la parole délirante
et du faux-fuyant, du louvoiement consciemment ou inconsciemment semble
s’imposer comme les règles et/ou principes de gouvernance démocratique. D’un
lieu, l’on trouve les foules qui se vacillent sur les priorités et
fondamentaux, mais des solutions de bazar, facilitant, favorisant très souvent
l’élan corrupteur des dirigeants, en détournant les fonds ; et de l’autre,
les leaders et dirigeants politiques qui s’imbriquent dans l’entremise
démentielle et impromptue de promesses ignobles. Dans une telle situation de
duperie franche ou improbable, l’exagération, la vantardise et toute sorte de
tars peuvent animer et peut-être animent en tout temps les fresques de la corruption
tant chez les politiques que chez les grandes masses précaires. La nouvelle
orientation politique, sociale et économique dont réclamaient les foules
précaires victime du régime de bras de fer des Duvalier, à savoir refonder la
politique par l’établissement de nouveaux principes et règles démocratiques,
sortir les grandes masses de la misère, construction d’écoles républicaines,
prester les services sociaux de base à la population, renforcer le système
judiciaire, adresser le problématique de la production nationale et autres
restent encore aujourd’hui dans l’impasse. De même, l’amélioration des
décennies d’exclusion et de grande misère sociale, des couches sociales les
plus pauvres (paysannerie et ouvrière) n’ont pas été adressées jusqu’à date dans
aucun programme d’Etat. Et le poids du mal-être persiste et enfonce les lubies
de changement réel des conditions de vie de la grande majorité populaire,
gouvernement après gouvernement. La bonne gouvernance, élément fondamental et
inévitable pour tout pouvoir démocratique, c’est-à-dire les décideurs
politiques, éludant, impliquant l’instauration d’un nouvel Etat et d’une
nouvelle administration publique moderne et ambitieuse brille davantage par son
absence.
Cette impasse, bien sûr, n’est pas une succession de faits fortuits.
Elle est la résultante de cumulation de mauvaises directives formulées dans des
décisions politiques farfelues et saugrenues. Les différents domaines et
secteurs de la vie nationale : éducation, santé, logements sociaux, transport
sont encore aujourd’hui superposés aux promesses de changement et
d’amélioration au passage de divers chefs d’Etat et de gouvernement. Et fors de
cette réalité de marasme sociétal, beaucoup de gens de la population restent
accroc aux périodes de flux de promesses obsolètes des politiques que sont les
élections. L’ère de la parole libre ou de liberté de parole consacrée par la
nouvelle constitution de 1987 semble provoquer un double mouvement convulsant les velléités de changement des
grandes masses et la perpétuation du système de privilège des sbires
duvaliéristes, substitués par les hocheurs de la démocratie, refoulant pour
leur part les revendications fondamentales de répartition et de redistribution
des biens et services offerts par l’Etat central dans toutes les communes et
aux différentes catégories socio-économiques les plus défavorisées du pays. Des
privilégiés, déjà Gérard BARTHÉLEMY[13],
fustigeait l’ossature, la charpente de la nouvelle classe dirigeante, vu la
présence des torpilleurs duvaliéristes et aussi la perpétuation des mêmes
pratiques au sein de l’administration publique inaugurant le passage à la
démocratie : clientélisme, gaspillage des biens d’Etat, les coups de
piston, enfin le mépris des mauvaises conditions de vie des masses pauvres
ayant provoqué la chute du régime pour l’établissement d’un autre Etat
responsable et efficace.
JEAN WILLIAM
Sociologue, politologue, prof à L’UEH
[1]- GABORIT, Pascaline, « Mémoire, oublie et
réconciliation dans les sociétés post-conflictuelles : l’exemple du
Cambodge », dans Revue ? Interrogations
? no 3. L’oubli, décembre 2006. En ligne.
[2]- LUHMANN, Niklas, La confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale, Paris, Economica,
Coll. « etudes sociologiques », 2006.
[4] - PÉAN, Leslie, « Corruption et gestion chaotique de la
société », p. 59, Haïti Perspectives, vol.1. n° 2. Eté 2012.
[5]- HOLLY. A. Daniel, de l’Etat en Haïti, Edition L’Harmattan, octobre 2011.
[6]- JOSEPH.E. John, Language and Politics, P. 17, Edinburgh. Edinburgh
University Press, 2006.
[7] - JOSEPH. E. John, op.cit, page 67.
[8]- MEDARD, Jean-François, « Clientélisme
politique et corruption ». In Tiers-Monde, tome 41, n° 161, 2000.
[9]- DELLA PORTA, Donatella, « Les cercles
vicieux de la corruption ». In Jean-François, MEDARD op.cit, p. 76.
[10]- WARGNY, Christophe, Haïti n’existe pas-
1804-2004 : Deux cents ans d’histoire de solitude, Edition, Autrement,
collection Frontières, pp, 167-173, 2008.
[11]- Jean-Claude JEAN, Marc MAESSCHALCK, Transition politique en Haïti :
Radiographie du pouvoir Lavalas, pp 156-157, Edition L’Harmattan, 2000.
[12]- RICKER H. William, The art
of political manipulation, Press of Yale University, 1986.
[13]- BARTHELEMY, Gérard,
Les duvaliéristes après Duvalier, p.45, Paris, Edition l’Harmattan, 1992.
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