L’Accord de Marriott : un triomphe de l’escroquerie politique du système oligarchique | Par Nelson Bellamy
Nous n’espérons, par rapport
au titre de cet article, que récolter une immense déception après la fin du règne
de PHTK et le départ irréversible de l’ingénieur Jovenel Moïse. Laquelle déception
-, face au chantier politique novateur que les protagonistes de l’Accord de
Marriott devraient inspirer ou mettre en oeuvre à travers,
sinon un processus révolutionnaire qui ne pourra de toute façon pas avoir lieu,
mais, un vaste et ambitieux programme de réforme sociale et politique -, nous
jettera sur le bord de l’histoire. Nous le savons tous ! Notre pays a été toujours
à la traine à cause de son retard. Et pourquoi a-t-il été toujours en retard ?
A cause - très souvent - des trainards et sceptiques, souvent à l’intello débridé
et mesquin qui se perdent sans cesse dans d’éternelles et interminables
discussions, mères de l’inaction politique et sociale. Volontiers, cependant,
nous nous prédisposons à recevoir l’infâme trophée de TRAINARD face aux résultats
futurs, qui ne pourront que répondre aux desiderata et aspirations légitimes du
peuple des quartiers pauvres, des bidonvilles, des Pétro-challengers et des
barricades, qui émaneront de l’Accord de Marriott et, bien entendu, de son
esprit.
Mais rien de tel n’y
adviendra ! L’Accord de Marriott est tout bonnement et simplement un triomphe
de l’escroquerie politique de l’oligarchie en place. C’est notre position et
notre lecture de cet accord qui ne peut augurer rien de bon pour le pays après
le départ de Jovenel Moïse.
Commençons par l’essentiel : l’éveil
populaire actuel est la conséquence d’insupportables inégalités et injustices
sociales, générées par un ignoble système social d’exclusion, où l’économie de
tout un pays est mise sous cloche par une petite oligarchie colorée, elle-même
au service de l’ordre capitaliste néolibéral globalisé. Cette oligarchie, en place depuis le coup d’Etat
de 1806, renforcée et complexifiée avec l’occupation américaine et la deuxième
guerre mondiale, maintient sa domination politique via un régime politique
historique, sous toutes constitutions confondues, de doublure. Cette politique
de doublure connait cependant quelques phases d’exception avec Soulouque et
Salnave NOTAMMENT et, plus près de nous, avec l’Aristide de l’avant 30
septembre 1991. Ces parenthèses historiques font toujours éclater au grand jour
la violence de l’oligarchie économique colorée chaque fois que le pouvoir du
système entre en crise sous la poussé des mobilisations populaires : Soulouque
a été combattu sans relâche, Salnave fusillé et Aristide version 1 chassé brutalement
du pouvoir. Les nègres de service, à la présidence, autrefois dans l’armée, au
parlement et dans l’administration, font office de chiens de garde de ce système.
Les médias, dans leur majorité, forment la couche qui se superpose aux premiers
(les nègres de services).
Ce sont-là, dans
les lignes précédentes, les structurants historiques étalés sur la longue durée,
sans exposer toutefois les détails.
Mais, sur le plan historique du
temps court, la révolte sociale actuelle et l’érection des
barricades sont, au-delà de tout, un cri du peuple pour dire STOP à plus de 30
ans de politiques néolibérales et de pillages de nos ressources, STOP à l’exclusion
d’une jeunesse qui réclame une nouvelle société, STOP à la misère programmée
des masses populaires et l’échec intégral du régime politique post-constituion
87, générateur d’une instabilité politique structurelle . C’est évident : les «
trois pouvoirs » mis en place par l’aberrante constitution de 1987 se
sont effondrés, engendrant de fait une situation d’inconstitutionnalité et d’exception
à toutes les échelles. Le slogan de ralliement ‘’changer le système’’, sorti tout droit des
matrices de l’intelligence populaire, est donc l’expression de ce ras le bol général
du pouvoir oligarchique fondé sur l’exploitation économique, l’exclusion
sociale et la discrimination de couleur.
Les solutions prêt-à-porter
des nègres de service à la rescousse du système
Nos lots successifs de surprise ne
semblent pas sur le point d’arrêter. La rapidité avec laquelle les
logiciels de l’ancien régime se sont activés pour semer la confusion et récupérer
la bataille populaire contre le système oligarchique d’exploitation et d’exclusion
parait défier la vitesse du son. « Société civile » bidon,
plateformes politiques fomentées pour les besoins de la cause, partis
politiques de coquilles vides et personnalités à la moralité douteuse ont
rapidement défilé, comme dans certains décors pornographiques, à la queue leu
leu pour se tailler une part du gâteau des postes (président et premier
ministre) et, bien entendu, des ministères avec, comme d’habitude, des
franchises à la clé. Les solutions prêt-à-porter
des nègres de service restent inchangés en dépit de l’évolution notable des
stratégies de luttes populaires observées depuis les révoltes des 6, 7 et 8
juillet 2019. Il est vrai, par ailleurs, que les stratégie et proposition du nouveau
contrat social du groupe des 184 en 2003 constituent la plus grotesque
escroquerie historique et intellectuelle
qui soit, tant la bête immonde de l’oligarchie ne se gênait même pas
pour cacher son visage. Et d’emporter avec lui toute l’intelligentsia de l’époque! Mais nous
aurions pensé que la révolution culturelle provoquée par le phénomène de la
globalisation pouvait entrainer de nouvelles stratégies. Peine perdue !
L’Accord de Marriott, une fois
de plus, est la démonstration de la capacité inouïe, étalée dans l’indécence,
du système oligarchique d’exploitation à se maintenir et se reproduire au-delà même
des pires convulsions politiques et sociales. A chaque fois, et comme en 1946,
une poignée d’opportunistes sans vergogne se coalisent via un ensemble de
pseudos organisations et plateformes pour casser l’élan du mouvement
revendicatif des masses. Des individus retords ou leurs suppôts, suffisants
comme eux seuls et représentants auto-proclamés de « la société civile »;
anciens camarades de combine devenus aujourd’hui ennemis irréconciliables ; caméléons
et vautours en politique et en affaire,
pour ne citer que ces espèces-là, forment cette constellation de scélérats
qui s’associent dans une solidarité forcée, de peur que les masses et une
frange de la jeunesse en voie de radicalisation et/ou leurs représentants
prennent le pouvoir. Toutes ces créatures monstrueuses de la réaction sont sur
le point de l’emporter !
Les objectifs principaux de la
gesticulation réactionnaire se résument en sept points : rétablissement
de l’ordre public, redressement de l’administration, mise en oeuvre de
programme d’urgence, relance des activités économiques, mise en ordre des
finances publiques, suivi du dossier Pétro-Caribe et réorganisation du conseil électoral.
Ces groupuscules coalisés pour l’occasion, à coté des politiciens traditionnels
reconnus corrompus, se composent d’éléments de la petite bourgeoisie
opportuniste et, à l’occasion, populiste dès qu’il s’agit d’exploiter la
frustration des masses pour accéder à l’appareil d’Etat. Ils sont complètement aux antipodes de la
base sociale de la mobilisation et ont rapidement propulsé au devant de la scène
un vaste réseau de petits et grands entrepreneurs politiques du système
constitué d’individus sociologiquement liés pour éviter que le radicalisme
populaire naissant des barricades prenne trop de place dans le champ politique.
Ajouter à cela, les nombreuses stratégies de diversion du pouvoir et la
mobilisation de gangs armés s’adonnant à
toutes sortes d’exactions visant à discréditer la révolte populaire contre l’oligarchie
économique. Aussi, l’Alternative consensuelle, le pouvoir en place, la
Passerelle et Mache Kontre ont-ils donc le même agenda : défendre l’oligarchie
en place et éviter l’émergence des masses populaires et des jeunes radicalisés
sur la scène politique. Il arrive seulement que la conjoncture actuelle
oblige à la polarisation de deux groupes d’affrontement (le pouvoir en place VS
opposition plurielle) distincts.
Les solutions prêt-à-porter
des nègres de service de la petite bourgeoisie réactionnaire déployées à la
va-vite sont une vaste opération de sauvetage du pouvoir de l’oligarchie menacé
depuis la révolte des 6, 7, et 8 juillet 2018. La formule puérile de ‘’départ
ordonné de Jovenel Moïse’’ mobilisée à grands renforts de publicité dans les médias
aux ordres du système participe de cette escroquerie politique. Aucune
revendication du peuple n’a été réellement prise en compte : la fin de l’économie
d’importation imposée par les institutions néolibérales soumettant la
production nationale, déjà marginale, à la concurrence déloyale ; l’arrêt du phénomène
récurrent de
dumping économique et social empêchant tout essor de l’industrie locale ; la
fin des privilèges de l’oligarchie qui ont toujours été un état de guerre
contre la société et la paix sociale ; la refonte radicale du régime politique
issu de la constitution de 1987 ; la redistribution de la richesse nationale et
la construction de l’économie sur des bases populaires, un Grand procès Pétro-Caribe
et de tous les dossiers de corruption, une grande campagne immédiate de
scolarisation universelle ; tous ces éléments sont exclus de la perspective de
ces structures concoctées en deux temps trois mouvements pour usurper le
pouvoir et faire barrage au mouvement populaire visant l’émancipation économique
et sociale. C’est inacceptable !
Les solutions prêt-à-porter,
dont la signature est l’Accord de Marriott, font apparaitre un fois de plus les
limites structurelles des mouvements populaires revendicatifs en Haiti et la
grande capacité du système à les récupérer et dévier de leurs objectifs
initiaux. L’Histoire sous les yeux de tous les patriotes, parce que
traditionnellement intimidés et marginalisés par le système, est en train de se
répéter. Le cycle infernal de l’instabilité politique et de la guerre sociale
va être long. Il revient aux forces progressistes et aux patriotes de s’engager
pour réorienter la situation pré-révolutionnaire actuelle, presque mise sous
coupe réglée par l’oligarchie économique et ses alliés traditionnels de la
petite bourgeoisie opportuniste.
Pour
faire échec à l’escroquerie de l’Accord de Marriott
Pour éviter, une fois de
plus, le triomphe néfaste des ‘’révolutions à l’haïtienne’’, séries de réaménagement
minimum du pouvoir au bénéfice de nouveaux éléments de la petite classe moyenne
- toutes couleurs confondues -, qui est la recette infaillible du système et de
ses alliés pour maintenir intact le régime social d’apartheid, il faut une
mobilisation accrue et concrète des forces vives et des progressistes dans la
mobilisation actuelle. Il n’est pas superflu de rappeler que tous ces éléments,
réunis péremptoirement dans ces plateformes bidons atteignant une première
phase de leurs dessins ignobles et mesquins dans l’Accord de Marriott, sont (ou
étaient) dans leur majorité courtisans de tous les présidents, conseillers de
ministres incompétents, chefs de cabinets de sénateurs aloufa, consultants de députés
corrompus et propriétaires directs ou indirects de firmes bidons ayant contribué
à la dilapidation des fonds publics sur la base du clientélisme politique et de
corruption généralisée. Nous proposons, à cet effet, les éléments de solution
suivants pour mettre sur la table les intérêts du peuple revendicatif et de la
jeunesse en voie de radicalisation :
-
Déclarer un régime d’exception face à l’effondrement
des trois pouvoirs de l’Etat
-
Mettre en place d’un Comité National Elargi de Réforme
Politique et Sociale CNERPS), avec des délégués de toutes les communes
-
Eriger un Tribunal Populaire Spécifique ( TPS -
pour l’organisation du procès Pétro-Caribe) désigné par le CNERPS
-
Mettre en place une Structure Nationale de Dé-privatisation
de l’Etat et de Redressement des Services Publics.
-
Convoquer une assemblée constituante pour rédiger
une constitution se dotant du principe du mandat révocatoire de tous les élus
et du référendum populaire
Le CNERPS décidera
de toutes les structures et comités qui auront pour tâche la mise en oeuvre des
réformes sociales de grande ampleur qu’exige la conjoncture et la refonte
totale des institutions de l’Etat.
Nelson
BELLAMY
Professeur
d’histoire d’Haïti, d’anthropologie sociale et de sciences politiques
Université
d‘Etat d’Haïti (Campus Henry Christophe - Faculté d’Ethnologie)
Port-au-Prince,
12 novembre 2019
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