Quand « NOU PAP DÒMI » écrit à l’Organisation des États Américains (OEA) ! | Par Nelson Bellamy
« Le patriotisme existait dans toute sa pureté; la peur était sentiment inconnu; l’égoïsme n’avait pas encore percé et c’était pour ainsi dire de gaieté de cœur qu’on sacrifiait ses biens, sa famille et soi-même ».
Léon AUDAIN, 1908
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Eurêka ! Le Venezuela a été absent dans la fameuse lettre de NOU PAP DÒMI adressée aux ambassades. Cette absence est-elle un trou de mémoire ou a-t-elle été volontairement un élément stratégique dans la course de NOU PAP DOMI pour se faire une place de choix dans la mouvance actuelle et se mettre en pôle position pour l’après-Jovenel Moïse ? L’opinion exprimée dans cet article souhaite analyser cette absence qui échappe au bon sens et répondre à ces questions.
Comme le dit
Giorgio Agamben : « Je travaille toujours dans l’urgence, mais très lentement
(Patrick Boucheron, novembre 2008 ». C’est une manière pour Agamben de nous
dire que l’acte de penser demande de la sérénité, demande de fuir la cacophonie
pour être serein et lucide.
Qu’on veuille bien nous pardonner cette
longue citation tirée du texte « Déjouer l’urgence de penser Haïti » du
professeur Géraldo Saint-Armand, mais elle reflète trop parfaitement notre
attitude face à la lettre de « NOU PAP DÒMI » pour ne pas la reproduire ici
dans toute son intégralité. Nous avons voulu prendre un peu de recul avant de
réagir. J’ai été totalement offusqué par cette lettre à un point tel que j’aie
failli tomber dans la « politique de l’émotion », celle consistant à se jeter
dans l’opprobre et l’invective, qui n’allait au final pas rendre service à la
consternation légitime qui doit s’emparer de beaucoup d’Haïtiens, y compris la
mienne. Une distanciation critique – dans les deux sens du terme – était donc
nécessaire pour pénétrer le mystère de la lettre loufoque et irresponsable de « NOU
PAP DOMI ».
Absence
de bon sens et sens de la lettre de « NOU PAP DÒMI »
Le professeur Hancy Pierre, spécialiste
de la Caraïbe, dans un article du 15 janvier 2019 publié dans les colonnes du
journal Le Nouvelliste, a montré de façon savante et documentée que
l’Organisation des Etats Américains (OEA) a été toujours un instrument
stratégique dans la politique hégémonique des États-Unis. Passive face à
l’agression anglaise contre l’Argentine en 1982, l’OEA était durant cette même
décennie complètement à la traine de la politique agressive de Ronald Reagan
dans la région. Aussi, quand « NOU PAP DÒMI » écrit-il à l’OEA comme
« garant de la stabilité » dans la région, il fallait préciser quelle sorte de
stabilité et pour quels intérêts.
On doit, par ailleurs, se rappeler que
les circonstances décisives où l’OEA devait ramener les Etats-Unis à la raison
- ce qui aurait renforcé la crédibilité de l’organisation hémisphérique - ont
toutes été ratées : la Bolivie et la Guyana en 1952, le Guatemala en 1954, la
République dominicaine en 1965 sont restés des dates noires et honteuses dans
l’histoire de cette organisation. Au lieu de condamner ou de freiner les visées
expansionnistes des États-Unis, elle a franchement accompagné ce pays dans la
violation systématique de la charte de Bogota qui consacrait le principe de
non-intervention. « NOU PAP DÒMI » devrait se renseigner sur une
organisation dont « personne ne doute plus de l’inutilité ni du discrédit de
cette organisation qui n’a rien fait d’autre que se rendre complice de tous les
crimes d’Etat perpétrés en Amérique latine et dans les Caraïbes » (Oscar
Sanchez Serra, Investig’Action, Mai 2009).
S’adresser ainsi à l’OEA s’apparente au
symptôme d’une absence totale de bon sens et de mémoire historique de la part
des membres de NOU PAP DÒMI. Mais, au-dessus de tout, la lettre vient exposer
sous nos yeux certaines traces tenaces des hérédités d’antan qui continuent de
nous emparer, de nous hanter.
Survivances
coloniales et esquives injustifiables
Le principe même d’écrire à des
ambassades, à propos de ce qui relève des affaires internes du pays et de
l’intérêt national, constitue en soi un déni de patriotisme. Mais plus triste
encore, les salutations d’usage au bas de la lettre laissent entrevoir que «NOU PAP DÒMI » s’adresse aux ambassades comme si elle s’adressait à des compatriotes.
« PATRIOTIQUEMENT », telle est la fin et
tout le grotesque caractéristique de la missive concoctée à la va-vite. Cette
manière de procéder est révélatrice de formes résiduelles inconscientes de
certaines survivances et tares coloniales présentes dans la société. Certains
adeptes des études post-coloniales aurait pu prescrire une cure dé-coloniale à
cette organisation.
Tout d’abord, l’ambassade de France
occupe la première place dans l’ordre des ambassades mentionnées. Même pour un
combat au niveau de la représentation symbolique, ne pas faire une telle
mention (à cette place) aurait été de nature à garder une certaine dignité dans
l’indignité. A moins que « NOU PAP DÒMI » nous méprise ou passe sous
silence les conséquences désastreuses du passé colonial de la France dans ses
rapports passés et présents avec les Haïtiens. Tous les pays auxquels s’est
adressée la lettre de façon séparée sont des pays occidentaux blancs – la Jamaïque
aurait levé tout soupçon. De là, nous devrions nous demander s’il n’y a pas un
esprit catégoriquement raciste qui l’enferme.
Ensuite, la République dominicaine –
notre voisin le plus immédiat et notre deuxième partenaire économique – n’a pas
retenu l’attention de « NOU PAP DÒMI ». Bizarre ! Cuba, un pays qui a
sauvé et qui sauve encore la vie de tellement d’Haïtiens en nous envoyant des
médecins, est ignoré. La liste peut être longue !
Mais le comble et tout le ridicule de la
lettre des opportunistes de « NOU PAP DÒMI » est l’absence du Venezuela
dans la liste des lettres adressées séparément, outre celles concernant l’OEA
(rappelons que le Venezuela s’est mis en retrait de l’organisation depuis le 27
avril) et l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui pourraient servir
d’arguments de bistrot pour justifier à postériori que la lettre était adressée
au « monde entier ». Pourquoi mentionner la Suisse et l’Espagne, alors que tout
le mouvement social actuel est, plus que tout, structuré autour de l’argent que
le Venezuela nous a prêtés mais volé principalement par le régime
Martelly-Lamothe ?
Je réclame moi aussi, avec force et
détermination, le départ de Jovenel Moïse qui sera, je veux le croire en tout
cas, le point de départ d’une chose différente dans le pays. Néanmoins, ces
genres de lettre de la trempe de celle de « NOU PAP DÒMI » nous
ramènent trop aux constats lucides de Marc Bazin : la petite classe moyenne
(les petits princes auto-dominés qui ont fréquenté l’université notamment
dirait JANIL), s’il en existe une, est trop opportuniste et, à l’occasion,
populiste dès qu’il s’agit d’exploiter les frustrations du peuple pour accéder
à l’appareil d’Etat et avoir ainsi la haute main sur les maigres ressources
disponibles. La lettre adressée aux ambassades, dans son principe et ses
omissions, recèle négativement ce caractère opportuniste et populiste. « NOU
PAP DÒMI » a carrément besoin de se RÉVEILLER !
Nelson BELLAMYProfesseur de Sciences Politiques et d’Anthropologie Sociale
Université d’Etat d’Haïti
Campus Henry Christophe de Limonade
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