De la propension des gouvernants haïtiens au mensonge | Par Nelson Bellamy

De la propension des gouvernants haïtiens au mensonge : Jean Bertrand Aristide a menti, Jovenel Moïse ment toujours et Jean Henry Céant vient de mentir.


Le philosophe Marie François Arouet dit Voltaire écrivît, au 18e siècle, un jour ceci : « le mensonge n’est un vice que quand il fait du mal; mais qu’il est une parfaite vertu quand il fait du bien ». Pris dans ce sens, et pour échapper sans doute à l’angoissante tyrannie à laquelle l’auteur de la ‘’ Critique de la raison pure ’’ voulait soumettre l’humanité, Voltaire voulait faire prévaloir que le mensonge peut être, dans quelques circonstances, d’un utilitarisme de bon aloi. Mais en quoi le mensonge soigneusement entretenu par les élites haïtiennes est-il d’une quelconque utilité ?

Il y a déjà bien longtemps Jean Price Mars avait déjà constaté «une propension presque pathologique au mensonge et au verbalisme creux chez l’Haïtien ». Qui ne se rappelle, par ailleurs, de ce passage de Maurice Sixto dans ‘’Dépestre, le flutiste’’ où Ton Lemou n’hésite pas à mentir, et y éprouve même une certaine volupté, pour se faire une place dans la conversation qu’engageait Manzè Adélaïde, elle-même en train d’affabuler et de mentir, pour étayer ses superstitions ?

Hier encore, Josué Pierre-Louis, ex-ministre de la Justice, n’a-t-il pas convaincu Michel Martelly, alors président fabriqué de la République, qu’il pouvait arrêter sans difficulté un député (Arnel, non celui de Cité de Dieu -heureusement) en fonction sans respecter la procédure établie par la loi ? Ou tout au moins ne lui laissait-il pas l’entendre ? La convocation du parlement qui a abouti à sa démission a fourni la réponse. On doit mentir pour flatter l’orgueil du chef et conserver sa position.

On peut aussi mentir par ignorance. Tel ce Jude Célestin, en pleine course électorale pour la présidence, qui prétendait former des médecins en deux ans pour pallier au problème de personnel médical dans le pays.

On peut encore, me semble-t-il, mentir par amnésie. Immédiatement après que le candidat Jude Célestin ait défrayé la chronique en promettant, face à l’impatience légitime des Haïtiens, de former des médecins, je dis bien des médecins, dans le plus bref délai, soit deux ans au maximum, Jean-Bertrand Aristide (JBA) est monté au créneau durant un discours à Léogane. Jamais l’ancien président n’a montré autant d’énergie et de fermeté face à ce qu’il qualifiait de « mensonge ». Même le mémorable discours de Carrefour-Aéroport du 1er Janvier 2004, où l’irritation d’Aristide était palpable face au désespoir irréversible de conserver le pouvoir, n’a dégagé une telle puissance dans la dénonciation, une telle indignation face à l’ignorance.

Tout le monde pouvait constater ce jour-là que JBA, sans jamais le citer, s’est adressé à Jude Célestin. Il en a profité pour rajouter une belle couche au candidat Jovenel Moïse, le poulain du régime précédent ; celui de Michel Martelly qui n’a pas manqué, en toute justice, de donner un vrai coup de massue aux caisses de l’Etat et à l’argent public. Je dois rappeler à votre aimable attention, mes chers compatriotes, qu’Aristide n’était pas candidat : il faisait campagne pour la candidate de SON parti, Maryse Narcissique. Pardon, Maryse Narcisse ! Je pense tout de même qu’elle doit s’aimer éperdument devant la glace.

Jamais en effet, mon affirmation tient ici une valeur d’hypothèse jusqu’à ce que, bien sur, elle arrive à être démentie ; jamais dans toute l’histoire un ancien président-chef de parti ne s’est engagé à mener la totalité d’une campagne électorale au coté et pour un autre candidat. Les spécialistes en communication, s’ils avaient su mesurer le temps de parole entre les deux, auraient pu forcer le Conseil Electoral à ré-imprimer tous les bulletins de vote. L’enjeu était donc de taille ! Il fallait un grand tournant dans la politique du pays après cent soixante-quatorze (174) années de déboires politiques. Faire du neuf avec du vieux ; il ne saurait avoir mieux pour réveiller la torpeur des Haïtiens et engager définitivement le pays sur la voie du progrès. La période qui s’ouvrait avec la chute de Boyer en 1843, où « quatre (4) valeureux présidents » ont dirigé le pays avec « INDEPENDANCE », devait en toute lucidité servir de source d’inspiration au génie incontestable de l’ancien prêtre de Saint-Jean Bosco. Ironie du sort, l’oligarchie incarnée par la figure paradigmatique de Réginald Boulos réalisait les objectifs de JBA :  elle a eu son président de doublure : Jovenel Moïse.

Qu’on se le rappelle en effet, aux heures décisives du grand combat populaire contre les redoutables vestiges du duvaliérisme, les masses populaires urbaines se sont jetées sur la personne de JBA (non sans la complicité de quelques politiciens inconséquents), incarnant une alternative à la faveur d’un discours réformateur dont il s’était fait l’apôtre. En plus, il n’était pas dépourvu de talent oratoire ; ce qui forçait les autres leaders du « camp démocratique » à le désigner naturellement comme candidat à la présidence.

La suite est de peu d’importance tant on sait les mensonge de JBA. Contre sa propre promesse, il a réussi sans le peuple : ce qu’il avait juré de ne pas faire. Mensonge!
On peut, enfin, mentir par imbécilité condescendante. La cas d’espèce que nous allons évoquer ne peut se ranger que dans cette catégorie. Jovenel Moise, sans égard à toute forme d’intelligibilité, n’a t-il pas promis l’électricité 24/24 à tout le pays dans les 24 mois qui devaient suivre sa déclaration de mars 2017. Or matériellement c’était « impossible ». Nous aurions dû nous attendre entretemps à beaucoup d’autres mensonges. Le Cap-Haïtien doit avoir une idée.

Plus loin, si nous remontons dans l’histoire au 19e siècle, des civils ne s’affublaient-ils pas de titres de militaires pour s’imposer sur la scène politique ? au lieu de « travailler» la psychologie collective pour préparer la société à une transition vers un pouvoir civil. Inginac, certes grand serviteur de ce qu’on a jours appelé ‘’La République de l’Ouest, écrit « Général Inginac » sur ses mémoires. Aujourd’hui encore dans nos écoles, on continue de répéter le Général Lysius Félicité Salomon. Mais, d’une manière générale, il parait que les masses, de leur coté également, à cause de la pédagogie du mensonge instituée dans la société , semblent « forcer » les politiques au mensonge.

Le mensonge, au vu de ce panorama, constitue un brevet d’honorabilité pour consolider sa position dans le champ politique, pour montrer ses « qualités de domestiques » et parfois pour jusqu’à flatter les bas instincts du peuple et des masses. Et comme cette pratique, à force de répétition, est devenue une structure sociale intériorisée, le mensonge s’est constitué comme un trait de la mentalité collective actuelle : ne se soucier guère de ce que tous les hommes honnêtes estiment, à savoir le souci de la vérité et le sens de la dignité, il suffit d’avoir l’argent ou le pouvoir ; les deux étant aujourd’hui souvent synonymes.

Mais les conséquences sont dramatiques. Pour le pays et pour le nom d’Haïtien. Le peuple perd confiance dans ses dirigeants et, face à ses échecs collectifs répétitifs et aux succès constants(sur son dos) de ceux-là mêmes mandatés à améliorer ses conditions d’existence, dans son pays. Et sous l’effet de la transmission du mensonge et de l’échec, la génération d’après ne trouve aucune raison de s’identifier à son pays. Parce que, seul celui qui trouve à vivre dignement dans son pays ressent l’orgueil de lui appartenir. La migration massive actuelle de nos compatriotes vers le Brésil et le Chili est le révélateur impitoyable qui témoigne de ce drame de désidentification collective à notre pays.

Mais encore le drame est à un autre niveau plus triste et plus angoissant. C’est que, quand dans la culture d’une société c’est le mensonge qui structure la plus grande partie des rapports politiques et sociaux, il n’est plus possible de faire société. Aucun contrat social, aucun contrat politique ne peut voir le jour.

De là,  nous comprenons, ce soir du 16 février 2019, qu’il ne servait à rien que Jean Henry Céant (JHC) se mette encore à mentir en promettant la mobilisation des leviers de la justice souveraine contre ceux qui ont volé les quatre (4) milliards et deux  (2) cent millions de dollars du fonds PétroCaribe. Où est passée la commission à laquelle JHC était si attachée ? C’est raté Monsieur le Premier Ministre !

Nelson Bellamy
Anthropologue, diplômé en sciences politiques
Professeur d’anthropologie sociale et de politiques comparées au Campus Henry Christophe de Limonade, CHCL -UEH

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