Restitution des «biens culturels spoliés» : Haïti, le grand absent des plaignants
Quand le président de votre pays privilégie
la politique du ventre, la coopération Nord/Sud l'intéresse moins lorsqu’elle a
pour objet les « choses symboliques » ayant pour but la restauration de la dignité
de son peuple. Ce je-m'en-foutisme est relayé et encouragé par les
journalistes, experts et les intellectuels médiatiques les plus suivis de ce
pays. Aujourd'hui, le débat sur la coopération internationale haïtienne est prisonnier d'une logique de choix entre
le Taïwan et la Chine pour les opportunistes, les États-Unis et la Russie pour
les fanatiques les plus farouches du bolchévisme. Aucune autre option ne semble
être possible pour ces beaux parleurs. Si l’on prend le soin de suivre les
échanges entre les protagonistes, ce conditionnement aurait pris le dessus sur
la capacité de la diplomatie haïtienne à
transcender cette bipolarité et à inventer une voie authentique. Par
conséquent, l’on assiste à une banalisation des processus qui devraient amener
à des décisions rationnelles s’inspirant du passé, du présent pour mieux
orienter notre avenir. Encore assistons-nous à des prises de position au gré
des circonstances moins qu’à la faveur de ce que l’on se fixe pour
nous-même.
De gauche à
droite : Siège duho Tainos, Parquet
magico-religieux avec croix (vodou). Images prises sur le site du Musée du Quai Branly
|
Plusieurs
éléments nous amènent à une conclusion désespérante sur l’avenir de la
coopération internationale haïtienne et sur les intérêts qu’elle prétend défendre
jusque-là. Si l’on se réfère aux voyages diplomatiques du président Jovenel
Moïse, tout porte à croire à une impossibilité de garantir une coopération
internationale basant sur l’équilibre et le respect des haïtiens. Cela se
manifeste lors de ses prises de parole post rencontre par deux attitudes :
d’une part, son désir de respecter les conditionnalités non négociées ou mal
négociées relatives aux promesses et dons des «pays bienfaiteurs»; d’autre
part, par sa défense des causes renforçant la position de faiblesse du pays sur
l’échiquier international, en contrepartie. Ce comportement fait montre un
amateurisme insoluble devant être considéré avant toute décision qui engage le
pays. Le 11 décembre 2017, lors de son passage à Paris à l’occasion du « One Planet
Summit » sur le climat, le président
haïtien, a félicité le président Français, Emmanuel Macron, pour son
«leadership et son engagement profond pour la tenue du sommet sur le
financement de l’action climatique.» Au-delà de ce lapsus révélateur d’une
attente financière du président haïtien, les principaux objectifs de ce sommet
insistaient moins sur le financement de «l’action climatique» que sur la
réorientation des flux financiers publics et privés nationaux et internationaux
vers une «économie verte». Lesquels objectifs cadrent avec le principe dit des
responsabilités communes mais différentiées (PRCMD) qui engage moralement les
pays dits développés à l’égard de ceux dits en voie de développement, en leur
fournissant des appuis techniques et financiers pour réparer leurs dégâts,
disent-ils.
Si ce
principe est considéré comme incontournable pour certains chefs d’Etat au point qu’ils en font le point de départ de leur
politique environnementale nationale, il ne l’est pas pour ceux qui détiennent
les capitaux internationaux. C’est l’exemple des Etats-Unis qui renoncent
unilatéralement à son engagement pris lors de l’accord de Paris en 2015 sur le
climat, deux ans plus tard. Ce scénario nous indique, entre autres, deux
choses dans les relations entre les pays: l’insincérité des signataires
des accords internationaux et la bassesse de certains dirigeants devant exiger
le respect de ces engagements. Il me semble que Jovenel Moïse comme la plupart
des dirigeants africains intériorise ce sentiment d’impuissance qui lui aurait empêché de défendre les causes pour lesquelles
il a été élu : la dignité des haïtiens à l’intérieur et à l’extérieur du
pays.
Au cours de
cette même visite, le président haïtien avait pris le soin d’exposer ses
préoccupations à son homologue, dans le cadre de la présidence tournante de la
CARICOM qu’il tiendrait quelques semaines plus tard, à travers certains propos
révélateurs du comportement d’Haïti devant ses vis-à-vis, et ceci depuis des
lustres. Il s’est exprimé en ces termes : « (…) nous sommes en train de travailler pour que le français comme
nous l’avons si bien dit, qui est notre langue officielle soit en fait une
langue, la langue de la CARICOM aussi. Et nous sommes en train de travailler
aussi pour que nos frères de la Guadeloupe et de la Martinique puissent
participer dans ce processus, dans ce mouvement de la CARICOM.»[1] Alors qu’en Guyane et en Guadeloupe
les résidents haïtiens constituent un prétexte pour certains «autochtones»
épousant les idéaux d’extrême droite voyant ces compatriotes comme des menaces
pour leur sécurité sociale et économique. Ce faisant, ils subissent toute forme
de discrimination et sont insultés quotidiennement à en croire les témoignages
de ceux qui ont transité par ces territoires d’outre-mer pour venir en France
métropolitaine. Encore une fois les priorités des haïtiens vivant sur ces
territoires passent au second plan au profit d’une politique internationale de
«give to give» désavantageux promue
par les dirigeants internationaux et endossés par le président haïtien, en
donnant en retour tout ce qui pourrait consolider l’intérêt de son peuple. Du
point de vue linguistique, la langue française qui est une langue officielle
moins que nationale trouve par là une occasion pour renforcer sa position déjà
dominante dans la société haïtienne et dans le monde au détriment du créole
parlé par tous les haïtiens. D’ailleurs
elle constitue une ligne de séparation entre la majorité qui ne la maitrise pas et la
minorité lettrée se trouvant favoriser dans certaines administrations privées
et publiques en récompense.
Alors,
peut-on s’étonner de l’absence de Jovenel Moïse et son gouvernement, des médias
nationaux et des intellectuels médiatiques haïtiens dans les débats sur la
restitution des biens culturels spoliés des anciennes colonies françaises? Ben
non! Semble-t-il qu’une bonne partie de
ces élites se confortent de cette piètre figure que fait montre la diplomatie
haïtienne dans le monde et de son absence dans les débats sur le renouvellement
des rapports inter-pays. En réalité la posture de ces élites dirigeantes ne se soucie guère des vestiges rappelant les
marques indélébiles du passé colonial. Dans les rares circonstances, elles ne
les considèrent que dans leur dimension folklorique ou lorsqu’elles veulent
montrer aux visiteurs étrangers que nous aussi «nou gen MUPANAH». Dissimulé dans une forteresse où seuls les nantis
puissent y accéder, le Musé du panthéon national haïtien reste dépouillé d’une
partie de ses objets culturels. «Est-ce que ça dérange ?», dirait donc
l’ancien président de transition Jocelerme Privert. En revanche, le Musée du
quai Branly[2] dans lequel sont exposés
certains de ces objets trouve sa lettre de noblesse d’une grande partie des
élites Haïtiennes de visite à Paris à
l’instar de la tour Eiffel.
Ce silence
complice des élites dirigeantes, parait-il, peut se mesurer à l’aune de la posture habituelle qu’elles adoptent
face à leurs interlocuteurs internationaux. Car, en réalité le débat sur la
restitution des biens culturels spoliés des peuples «autochtones» prenant chair
suite à la demande adressée à la France
par le Président béninois Patrice Talon et qui accouche le rapport[3] dit Felwine Sarr et Bénédicte Savoy
récemment publié, répond à une demande globale : celle d’une remise en
question inédite des « relations » [4] entre les peuples dans le passé
en ouvrant un dialogue sincère autour du devenir commun du monde présent.
Encore s’agit-il d’une possibilité de rouvrir le débat sur l’Universel que l’on
impose aux anciennes colonies à travers les modèles socio-économiques et
politiques fomentés par les institutions internationales. Car l’«universel qui
se respecte, est un universel pluriel qui prend en compte la pluralité des
options (…)»[5], c’est-à-dire ce que chacun
trace comme voie de son épanouissement sans nécessairement être vu comme une
menace pour les autres.
En raison du
signe de distinction sociale[6] qu’ils procurent aux élites
haïtiennes qui n’ont aucun souci de Visa de tourisme et de billet aller-retour
Port-au-Prince/Paris, les objets culturels haïtiens logés à la même enseigne
que ceux africains réclamés, n’ont qu’à attendre davantage. Cette attitude est symptomatique du je-m'en-foutisme qui est à
l’œuvre dans la société haïtienne depuis des lustres. Et cela semble être loin
de l’éveil africain voulant réconcilier l’Afrique et les Afro-descendant(e)s à
leur passé précolonial pour mieux construire leur avenir. C’est-à-dire, la
posture des élites haïtiennes semble s’abstenir de cette nouvelle philosophie
qui est celle de l’autodétermination par la culture ancestrale. Alors que,
comme le signale le rapport de Felwine et Bénédique, « Ces objets culturels,
bien que situés sont l’expression du génie humain et une tradition matérielle
de créativité.»[7], lesquelles dimensions manquant aux décisions
socio-politiques et économiques prises par les élites dirigeantes haïtiennes
depuis 1806. Se contentent-elles donc des masques de fer, des chaines,
muselières, de l’arsenal de supplices et autres ornant la salle du MUPANAH tandis que l’essentiel
des savoir-faire des premiers et des derniers haïtiens de l’Ile se trouve
ailleurs[8]? Dans leur contemplation, les élites haïtiennes brillent
parfaitement par leur absence dans les débats sur la restitution des «biens
culturels spoliés» des peuples anciennement colonisés notamment par la
France.
Annexile Jimitry Le Gbèto
Sociologue et Ambassadeur pour la défense des patrimoines ancestraux africains
[1]
Radio Télé Ginen, Le président Jovenel
Moïse a rencontré son homologue français, Emmanuel Macron, vidéo disponible
sur https://www.youtube.com/watch?v=Qh8L8vLkh6I
[2]
Haïti au cœur du musée du quai Branly tout ce weekend. Disponible sur https://culturebox.francetvinfo.fr/livres/evenements/haiti-au-coeur-du-musee-du-quai-branly-tout-ce-week-end-75293.
On peut consulter également, Une collection Pérenne entre le Musée du quai
Branly-Jacques Chirac et le MuCEM disponible sur
http://www.quaibranly.fr/fr/collections/vie-des-collections/prets-et-partenariats/le-mucem/
[3]
Felwine Sarr et Bénédique Savoy, Rapport sur la restitution du patrimoine
culturel africain. Vers une nouvelle
éthique relationnelle, novembre 2018.
[5]
Felwine Sarr, «La restitution des œuvres africaines n’est pas un geste du prince», interview
accordée à TV5 monde, disponible sur
https://www.lemonde.fr/afrique/video/2018/11/26/felwine-sarr-la-restitution-des-uvres-africaines-n-est-pas-un-geste-du-prince_5388879_3212.html
[6] Dimitri Béchaq, 2010, Pratiques
migratoires entre Haïti et le France. Des élites d’Hier aux diasporas d’aujourd’hui, Thèse de
doctorat soutenue à l’école des Hautes études en Sciences sociales. On peut
également consulter l’article de Rodriguez Régine, Pierre Bourdieu et Alain
Darbel, L'Amour de l'Art : les musées et leur public, Paris, Éditions de
Minuit, 1966. In: L'Homme et la
société, N. 3, 1967. pp. 220-222, disponible
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1967_num_3_1_1014
[8] «L’autre collection d’une centaine
d’objets a trait aux cultures contemporaines d’Haïti et se rapporte
essentiellement au vodou. Les deux ensembles les plus importants sont ceux
rapportés par Michel Leiris (une vingtaine d’objets en 1949) et par Kurt
Fischer (64 objets entre 1949 et 1950). Il s’agit de divers objets rituels en
fer forgé, de paquets magico-religieux, d’instruments de musique comme des
tambours, mais aussi d’objets de la vie quotidienne en vannerie ou céramique, ou
encore de quelques tableaux. », Extrait du document intitulé : HAÏTI AU CŒUR DU MUSEE DU QUAI BRANLY,
annonçant la couleur de l’évènement du samedi 07 janvier au dimanche
08 janvier 2012, disponible sur http://www.collectif-haiti.fr/data/file/mqb-cp-week-end.pdf.
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