Le mouvement Petrocaribechallenge comme tentative pour sortir de l'insignifiance

Ce qui caractérise l'évolution de la société haïtienne, c'est la cristallisation d'un ordre du temps que Castoriadis qualifierait du temps de l'insignifiance. Depuis Pétion, plus particulièrement depuis Boyer, un ordre social précis fut mis en place. Celui-ci est fondé sur l'institutionnalisation d'un rapport social asymétrique où une minorité s'est consacrée comme privilégiée en ayant à son service le reste de la société comme ses nègres. Cet ordre se reproduit à travers ce que nous appelons l'espace de médiatisation composé de principales institutions comme la presse, les entités magico-religieuses, le parlement, l'université, la rue, etc. Ces institutions se tournoient autour de l'axe des privilèges que génère la société dans son fonctionnement. Chaque institution tire son importance en fonction de son rôle dans le maintien de l'ordre social asymétrique garantissant le bien-être d'une minorité au détriment de celui de la majorité de la population haïtienne.

C'est dans cette dynamique que s'émergent, à chaque fois, les nouveaux  acteurs qui sont appelés à être les nouveaux nègres des principaux nantis qui, depuis après la chute de Boyer, instaurent une atmosphère de doublure. Les figures de doublure ne s'émergent pas uniquement sur la scène politique, elles se trouvent un peu partout. Leur rôle c'est de garantir la reproduction de l'ordre. Elles sont plus visibles dans le parlement, dans la presse, dans la rue,  etc. Cela peut s'expliquer par l'importance de ces institutions dans le maintien du statu quo. Le statu quo, l'horizon du temps, l'ordre du temps, le régime d'historicité, comme nous l'appelons, à la suite de François Hartog, dans notre dernier essai, se maintient à  travers la logique de la monopolisation.

Celle-ci s'étend, en Haïti, quasiment sur toutes les rives de la vie de la société : sur le plan économique et financier, il  n'y a pas de place pour l'émergence de nouvelles catégories sociales ; sur le plan social ou politique, le jeu est pipé, si on n'accepte pas d'être une doublure son sort est scellé comme celui de Sylvain Salnave ou celui de Jean Bertrand Aristide (première version). Cette logique de monopolisation, de confiscation, historiquement, destine les actions populaires pour l'émancipation à être un maillon de la reproduction du statu quo. Michel Rolph Trouillot nous dit que les réponses proposées généralement aux commotions populaires sont truquées. Ces actions de revendication sont souvent menées sous le contrôle des acteurs du statu quo qui cherchent à permettre à la société d'exclusion de suivre aisément sa course.


Qu'est-ce qui, en fait, pourrait permettre au mouvement petrocaribechallenge d'être différent des principaux mouvements qui jalonnent notre histoire ? Les premiers ennemis de ce mouvement sont, à la fois, les institutions, les acteurs du statu quo qui, traditionnellement, participent dans la reproduction de notre ordre social inégalitaire, ces ennemis sont surtout les comportements aliénants incorporés dans le jeu de domination instauré depuis deux siècles déjà. Le salut du mouvement réside dans sa capacité à briser la logique de monopolisation qui accapare tout au profit du bien-être d'une minorité.

Le mouvement est issu d'un acte significatif qui peut créer sa propre voie de sa réussite, c'est le fait qu'il est né à travers les réseaux sociaux qui représentent un ensemble de lieux opposés à toute logique de monopolisation de l'opinion. Cela représente une avancée majeure : l'on est face à l’émergence d'une opinion éclatée. L'on voit très bien que les médias traditionnels continuent à résister. Ils constituent à inviter leurs clientèles pour discuter autour du mouvement. Ces clientèles ne sont que des coanimateurs qui garantissent la reproduction du statu quo. Le mouvement, pour être victorieux, ne peut pas perdre cet acquis. Il doit lutter pour vaincre d'autres espaces de monopolisation pour pouvoir grappiller quelques brins d'autonomie. Sans autonomie le mouvement petrocaribechallenge sera un mouvement de plus dans les annales de l'histoire d'Haïti. L'on n'est dans une société hétéronome qui ne tolère pas la quête de l'autonomie : soit on est son nègre, soit on est son désœuvré sur lequel elle peut tout se permettre. C'est pourquoi, il faut être vigilant face aux figures qui vont s'émerger du mouvement pour les éviter de suivre le chemin de doublure. Chemin lucratif ! C'est pourquoi qu'il est nécessaire d'encourager l'émergence d'un leadership collectif axé sur la compétence, la crédibilité, sur les valeurs de l'inclusion, du progrès socioéconomique, technologique, scientifique, etc.
Geraldo Saint-Armand

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